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No.925 du 21 au 27 août 2013

www.lesinrocks.com

rentrée cin ma Benicio Del Toro

Indien chez Desplechin Larry Clark kids in Paris Marine Vacth rebelle de jour Rebecca Zlotowski un amour atomique

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Jagwar Ma

usine à tubes romans français

l’insurrection qui vient ? M 01154 - 925 - F : 3,50€

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No.925 du 21 au 27 août2013 couverture Benicio Del Toro par Benni Valsson pour LesInrockuptibles

Alexandre Guirkinger pour Les Inrockuptibles

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édito occupy Sotchi

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entretien

Geoffroy De Boismenu pour Les Inrockuptibles

disparition de Jacques Vergès: rencontre avec Barbet Schroeder, réalisateur de L’Avocat de la terreur

12 nouvelle tête Karim Ouellet, songwriter cascadeur

14 la courbe du pré-buzz au retour de hype +tweetstat

15 à la loupe Jean-Vincent Placé et son bar font un tabac

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16 style

18 idées changer les structures pour changer les affects: l’économiste et philosophe Frédéric Lordon veut en finir avec le capitalisme

20 rentrée cinéma

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rencontre avec Benicio Del Toro, Indien chez Desplechin et cinéphile affamé + Larry Clark en tournage à Paris, Rebecca Zlotowski, Marine Vacth + les films attendus

Cruschiform pour Les Inrockuptibles

où est le cool ? dans une maison en Australie, les pages arty de The Plant, le vestiaire avant-gardiste d’Eckhaus Latta, des baskets Balenciaga…

46 Jagwar Ma, co*cktail australien

48 les auteurs font la révolution Loïc Merle, Philippe Vasset, Tristan Garcia, Yannick Haenel: le quatuor des révoltés

54 trash baby star 6/6 révélé ado dans Terminator 2, la gueule d’ange Edward Furlong s’est peu à peu abîmée dans son insondable noirceur

Edward Furlong dans Before and After

les deux musiciens de Sydney mélangent Happy Mondays et Beach Boys dans leur drôle de shaker

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail: [emailprotected] ou [emailprotected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

60 Fedora de Billy Wilder

62 sorties Jeune & jolie, Kick-Ass2, Conjuring, Mort à vendre, Mon bel oranger, LesFlingueuses

65 jeux vidéo

Cloudberry Kingdom + Kokuga et Stealth Inc. –AClone in the Dark

66 séries Ray Donovan, belle nouveauté de l’été

68 JuliaHolter l’Américaine s’offre un orchestre pour ses chansons résolument contemporaines

70 mur du son Karen O, le retour des Touré, Erlend Øye, John Grant, Rock en Seine…

71 chroniques Braids, Mulatu Astatke, Bent Van Looy, Edwyn Collins, Gabrielle Aplin, NoAge, The Olms…

80 Laura Kasischke l’Américaine confirme son statut d’écrivain prodige avec un thriller intime sur les démons de l’inconscient

82 romans Hélène Frappat, Alizé Meurisse, John Jeremiah Sullivan, Xavier Boissel, Jeet Thayil

86 tendance sous le pavé de 1 144 pages de Yann Moix, la plage

87 bd Pascal Rabaté, Hajime Isayama

88 Bussang 2013, les Estivales le Théâtre du peuple célèbre la scène belge + Politiques du spectateur –Les enjeux du théâtre politique aujourd’hui

92 spécial été: nos expos imaginaires 5/5: comment créer un espace unique de collaboration ? Une œuvre qui fusionne le travail de plusieurs artistes ?

94 Eric Scherer le blogueur explique pourquoi les médias traditionnels ont tout à craindre des nouveaux usages numériques

96 net L’Etre et l’Ecran – Comment le numérique change la perception du philosophe Stéphane Vial profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p.53

97 programmes portrait de Charlotte Rampling

98 best-of sélection des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JDBeauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JDBeauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, FrancisDordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet, GeoffreyLeGuilcher style Géraldine Sarratia idées Jean-Marie Durand cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-BaptisteMorain, Vincent Ostria, Erwan Higuinen (jeux vidéo) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs J.Allen, E.Barnett, S.Beaujean, R.Blondeau, S.Bossi, D.Commeillas, Cruschiform, G.de Boismenu, M.Delcourt, A.Desforges, J.-B.Dupin, J.Goldberg, C.Goldszal, A.Guirkinger, O.Joyard, B.Juffin, N.Lecoq, R.Lejeune, H.LeTanneur, Y.Perreau, E.Philippe, T.Ribeton, L.Soesanto, P.Sourd, B.Valsson lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochard lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Fabien Garel photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Agathe Hocquet photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Laetitia Rolland, Laurence Morisset, Anne-Gaëlle Kamp, Delphine Duprat (stagiaire) conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél.0142 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél.014244 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél0142441812 coordinateur François Moreau tél.01 42 44 19 91 fax0142441531 stagiaires Caroline Mira tél.01 42 44 44 26, Estelle Vandeweeghe (festivals) tél.01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél.01 42441994 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél.01 42 44 16 69 Anne-CécileAucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél.01 42 441998 Lizanne Danan tél.0142441990 coordinateur Stéphane Battu tél.01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07 Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél.01 42 44 16 08 assistant Antoine Brunet tél.0142441568 assistante promotion marketing Céline Labesque tél.0142441668 relations presse/rp Charlotte Brochard tél.01 42 44 1609 marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél.0142440017 assistant marketing direct Elliot Brindel tél. 01 42 44 16 62 contact agence A.M.E. Otto Borscha ([emailprotected]) et Terry Mattard ([emailprotected]) tél.01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [emailprotected] abonnement France 1an: 115€ standard, accueil ([emailprotected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02 430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66€ 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied, Frédérique Foucher administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, LouisDreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, SergeKaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOetrimestre 2013 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles2013 tous droits de reproduction réservés

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Grigory Dukor/Reuters

occupy Sotchi Faut-il boycotter les Jeux olympiques d’hiver de 2014 à Sotchi, dans le sud de la Russie ? Des personnalités et des sportifs ont pris position, des pétitions ont été lancées en ce sens pour protester contre l’orientation liberticide et hom*ophobe du pouvoir russe. Fin juin, Vladimir Poutine a promulgué deux lois scandaleuses: la première réprime les “offenses aux sentiments religieux” d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison (ce texte a été concocté après la condamnation des puss* Riot à deux ans de camp), la seconde punit d’une amende tout acte de “propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles devant mineur”. Les étrangers risquent en plus une détention de quinze jours et une expulsion. Fin juillet, quatre Néerlandais ont été expulsés. Ils tournaient un film sur le droit des gays dans le nord-ouest du pays. Manifester pour l’égalité des droits en Russie est un sport dangereux. Il faut s’attendre à être arrêté ou tabassé –autant par les forces de l’ordre que par des militants d’extrême droite. D’après un sondage publié en juin, 88 % des Russes soutiennent la loi contre la “propagande” hom*osexuelle et 54 % pensent qu’il faut punir l’hom*osexualité. Parallèlement, cette loi renforce le sentiment d’impunité d’extrémistes spécialisés dans l’agression et le harcèlement des hom*osexuels. Sur le net, des vidéos circulent où des jeunes se font tabasser et sont forcés à boire de l’urine. Des cas de meurtres ont été recensés sans que le pouvoir ne s’en émeuve. Les organisations des droits de l’homme et certains Etats pressent le CIO –dont la charte s’oppose à toute forme de discrimination– de réclamer des garanties aux autorités russes pour qui les JO sont un formidable outil de propagande. Pour Vladimir Poutine, Sotchi est une opération de prestige nationaliste et personnel. La station balnéaire se trouve juste à côté de la Géorgie, dont la Russie continue d’occuper militairement une partie du territoire

(l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie). Mais la polémique sur la loi contre la “propagande” hom*o pourrait voler la vedette. Les mondiaux d’athlétisme de Moscou, préambules de Sotchi ? L’Américain Nick Symmonds adédicacé sa médaille d’argent du 800mètres à ses amis gays. La sauteuse en hauteur suédoise Emma Green Tregaro a peint ses ongles en arc-en-ciel avant d’être rappelée à l’ordre par l’IAAF (fédération internationale d’athlétisme) dont la charte interdit aux athlètes de prendre des positions politiques. Ce qui n’a pas empêché la perchiste russe médaillée d’or Yelena Isinbayeva de justifier ainsi la loi –avant de minimiser ses propos le lendemain: “Nous sommes inquiets pour notre nation car nous nous considérons comme des gens ‘normaux’. Chez nous, une relation, c’est entre un homme et une femme.” Avec Usain Bolt sous la foudre, l’image des mondiaux restera celle des athlètes russes s’embrassant sur la première marche du podium du 4x400mètres dames –sans que l’on sache avec certitude s’il s’agit d’un acte militant. Propagande pour “propagande”, des voix appellent aujourd’hui à utiliser la puissance de résonance mondiale des JO de Sotchi. Une campagne internationale demande aux athlètes, spectateurs et coachs de se tenir par la main. Le journaliste russe Anton Krasovsky, limogé en janvier après avoir fait son coming-out en direct à la télé pour protester contre la loi, s’oppose au boycott au nom de la solidarité: “Les hom*osexuels russes ont besoin du soutien international… Si tu boycottes les JO, tu les boycottes aussi !” Et il suffit parfois d’une image, d’un athlète courageux ou engagé. Il faut repenser au poing levé et ganté des athlètes noirs américains Tommie Smith et John Carlos à Mexico en 1968 ou au drapeau aborigène brandi en 2000 aux JO de Sydney par Cathy Freeman. Après tout, le principal, c’est de participer.

Les athlètes russes gagnantes du 4x400m, le17août àMoscou

Anne Laffeter 6 les inrockuptibles 21.08.2013

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Jacques Vergès, au centre, défenseur du FLN, blessé au cours de la manifestation des étudiants d’Afrique noire, à Paris, le 15février 1961 8 les inrockuptibles 21.08.2013

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“Vergès adorait construire son mythe” Barbet Schroeder a signé un documentaire très fouillé et critique sur JacquesVergès en 2007. Il revient sur le parcours et éclaire certaines zones d’ombre du parcours de l’avocat, décédé la semaine dernière à l’âge de 88ans.

Rue des Archives

V

ous souvenez-vous de votre première rencontre avec Jacques Vergès ? Barbet Schroeder– J’ai rencontré Jacques Vergès pour la première fois dans unrestaurant de la place Clichy. On a très vite sympathisé car j’ai évoqué avec lui mes grands débuts en politique –en gros quand j’avais 15 ou 16ans et que je défendais la cause de l’indépendance del’Algérie. Comme lui, j’avais été déçu par l’attitude du Parti communiste: nousavions ce terrain en commun. Malgré ladifférence d’âge, nous avions sensiblement le même itinéraire: ça l’amusait et ça le rassurait. L’autre chose qui nous rapprochait, dans ma tête au moins, c’est Pol Pot. Les Khmers rouges, c’est un sujet qui m’a longtemps intéressé. Et je pensais qu’il connaissait Pol Pot… Mais en fait, il l’avait simplement rencontré au Quartier latin, quand il était étudiant. Sa proximité avec Pol Pot, c’est encore une légende qu’il aconstruite parmi d’autres.

Comment a-t-il réagi lorsque vous lui avez annoncé que vous alliez réaliser unfilm sur lui ? En réalité, il était très intéressé par unprojet de film sur lui, et depuis longtemps: il buvait du petit lait quand je lui ai proposé. Et même si c’est quelqu’un d’autre qui le faisait, ça lui faisait plaisir. Vous voyez le personnage: il était flatté, il adorait construire son mythe, sa légende. Et, de mon côté, ça faisait longtemps que je voulais faire un film sur lui. Il s’est trouvé qu’à un moment donné, il a annoncé qu’il allait défendre Saddam Hussein. Là, toutes les télévisions ont voulu leur documentaire sur Vergès, absolument toutes, en France, mais aussi en Allemagne, en Angleterre. Puis Saddam Hussein a dit qu’il ne souhaitait plus que ce soit Vergès qui le défende –et là, les télés ont laissé tomber… Mais moi, j’étais déjà monté à bord. J’ai donc décidé de continuer le projet. J’ai eu du mal à boucler le financement, les chaînes étaient très

réticentes. Ce qui est intéressant, c’est de voir à quel point, après sa mort, on parle de lui ces derniers jours dans les médias de radio et de télévision comme d’un saint. Alors qu’à l’époque je vous jure –une fois que Saddam Hussein n’était plus dans le coup– plus personne n’était intéressé par le cas de Vergès, mais alors plus personne du tout. En quoi Vergès était-il pour vous un personnage romanesque ? C’est le méchant qu’on aime aimer. Il avait extrêmement conscience de ça. Il avait conscience de tout d’ailleurs… Sauf peut-être du fait que sa vanité pouvait être une faiblesse. Il mettait sa vie en scène, à la fin notamment. A tel point que ça a pu en devenir très caricatural, comme son expédition en Afrique avec Roland Dumas pour défendre Gbagbo par exemple… Mais c’était quelqu’un qui possédait une véritable carrure intellectuelle, intimement mélangée à l’idée du mal, c’est ça qui m’a fasciné chez lui. Il y a peu de gens comme ça dans l’histoire. 21.08.2013 les inrockuptibles 9

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Talleyrand, par exemple, était comme ça. Votre film donne beaucoup d’indications sur la période 1970-1978 lors de laquelle Vergès a été totalement introuvable. Vous allez notamment contre la thèse qui affirme qu’il se serait trouvé au Cambodge à cette époque. Le Cambodge, c’est un écran qu’il a fabriqué. Au point de mettre des statues cambodgiennes auprès de lui dans son bureau. Bien sûr, il y a de nombreuses pistes. Je n’ai pas de preuves absolues, mais ce que je sais c’est qu’il y a un passage de mon film qui l’a perturbé, traumatisé même. C’est le témoignage du député libanais qui se trouvait coincé par des événements militaires en compagnie d’Arafat, et qui racontait qu’il y avait avec eux le dénommé Ali Hassan Salameh, le jeune “Prince rouge” organisateur de la prise d’otages aux JO de Munich en 1972, qui servait alors de secrétaire et d’assistant à Arafat. Et ce fameux Salameh disait au député libanais qu’il recevait des messages d’un certain Jacques Vergès. Et Arafat

AFP

Avocat de la défense au procès de l’ancien chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie, devant le palais de justice de Lyon, le 13 mai 1987

avait dit très clairement, toujours devant ce député: “Continuez avec ce Vergès.” Alors je ne sais pas ce que Vergès faisait au juste avec eux, mais visiblement il servait de lien, il essayait peutêtre de faire lapaix entre les différentes factions palestiniennes, je ne sais pas. Et puis il y aussi une autre personne que j’ai interviewé, Bachir Boumaza, qui m’a expliqué qu’il avait disparu pour défendre la cause palestinienne. Vergès a beaucoup insisté pour que j’interviewe ce Boumaza. Et quand ils se sont vus, ils se sont appelés par leur nom de code, ça ne trompe pas. Et le troisième larron de cette histoire, c’était un proche de Wadie Haddad, le dénommé François Genoud. Waddie Haddad, c’était celui qui a formé Carlos quand même. Et je pense que quand le film parle de la trahison de Vergès vis-à-vis de Carlos, il y a un truc. Quand j’ai vu la famille de François Genoud, ils étaient très méfiants à l’égard de Vergès. Et le seul qui était resté proche de Carlos, c’était Genoud. Mon sentiment, c’est

que comme beaucoup de gens après la Libération, Vergès en a eu marre de la vie “normale” et qu’il a voulu retrouver une vie un peu plus exaltante, c’est pour ça qu’il a disparu. Et puis il était poussé par ce désir de continuer la lutte contre la colonisation, et le combat pour la Palestine, c’est d’ailleurs ce que dit Boumaza dans mon film, était surtout vu comme une lutte contre le colonisateur israélien. Donc je crois que c’est l’explication la plus crédible à sa disparition, et puis il faisait beaucoup d’allers-retours à Paris, ce qui aurait été plus compliqué s’il avait été auprès des Khmers. Autre chose: Vergès était d’origine vietnamienne, et Pol Pot se serait fait assassiner par ses confrères s’ils avaient vu qu’il avait à faire avec lui: les étrangers n’étaient pas les bienvenus. Et puis surtout, le frère numéro deux, Nuon Chea, sans qui Pol Pot ne prenait aucune décision, nous a certifié que si Vergès avait été là bas il l’aurait su. Quelle a été la réaction de Vergès quand il a vu ce passage du film consacré à sa “disparition” ?

Il a dit: “C’est consternant qu’autant d’intelligence ait été consacrée à cette toute petite partie de ma vie.” Il était un peu gêné par cette partie du film. Et puis après, quand il a vu qu’il ne pouvait rien faire, il a embrassé le film en disant: “Ce film est un chef-d’œuvre, et il a marqué un silence avant d’ajouter, à cause de moi.” Il était diaboliquement intelligent, plutôt que de faire couper les passages qui le gênaient, ce qu’il aurait pu faire, il a décidé de jouer le jeu de la promotion à fond. Quand nous sommes allés à Cannes, où le film était montré, on voulait que ce travail somme toute assez critique sur Vergès ne passe pas pour une hagiographie. On ne voulait Donc pas que Vergès participe à la promotion, et on le lui a fait comprendre. Mais lui, malin, il est venu quand même, à ses frais. Il est descendu au Carlton, il a pris une attachée de presse, il a monté les marches et a fait sa propre campagne. Et toutes les interviews qu’il donnait, il ne les faisait jamais dans une chambre d’hôtel, mais avec la mer derrière lui, pour qu’on voit bien qu’il était à Cannes. Mais malgré ce petit jeu, on était en bons termes, il y a avait un certain respect entre nous. Avant Cannes, j’ai déjeuné une ou deux fois avec lui. Je le rejoignais à son bureau, je pensais qu’on allait déjeuner dans un restaurant en bas de la rue. Eh bien non, il me faisait prendre le taxi et il m’emmenait chez Lipp, où il me présentait à tout le monde. Il disait:

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“une véritable carrure intellectuelle, intimement mélangée à l’idée du mal” “Regardez, c’est Barbet Schroeder, c’est lui qui fait le film sur moi.” Je ne voyais encore rien venir à ce moment-là. Après la sortie du film, j’ai même appris qu’on l’invitait à des projections en province pour lesquelles il se rendait sur place. Il venait dans la salle et il expliquait au public les passages qu’il trouvait gênants ou erronés. Et à chaque fois, il trouvait une librairie dans la ville où il allait dédicacer des livres. Diaboliquement intelligent… Parfois, il m’impressionnait je vous jure. Vous avez évoqué François Genoud, banquier suisse qui a aidé les nazis en fuite. On dit que c’est lui qui a demandé

à Vergès d’assurer la défense de Barbie. Vergès a toujours reproduit ce mensonge qui consistait à dire qu’il n’avait aucun lien avec François Genoud. Or c’est faux. Mais la vérité est pire que ça. Genoud avait d’abord proposé à un grand avocat algérien de défendre Klaus Barbie, mais cet avocat a refusé, il a dit qu’il ne pouvait pas faire ça. Alors Genoud a dû trouver un deuxième choix, et il s’est rabattu sur Vergès. Des témoignages l’expliquent dans mon film. L’idée de Genoud, c’était de faire un lien entre l’armée française en Algérie et les chefs d’accusation contre Barbie. Car dans les deux

cas les interrogatoires se terminaient par la mort. L’idée c’était de dire “quelle différence entre un tortionnaire français en Algérie et un tortionnaire allemand en France”. C’était ça l’idée dans la tête de Genoud, qui avait un côté nazi boy-scout. Et pour Vergès, ce thème sous-jacent de la colonisation, c’était du gâteau, qui pouvait faire avancer son propre agenda et qui continuait à régler ses comptes sur l’Algérie. Mais, à la fin, Vergès a une phrase très malheureuse, dans laquelle il disait que certains vont être contents à Jérusalem. C’est là qu’il sort du cadre. Lors de votre enquête, vous avez pu trouver des

relents d’antisémitisme chez Vergès ? C’est très difficile à dire car il était antisioniste… Au final je n’ai pas réussi à en trouver, mais je peux vous jurer que j’ai cherché, c’était une des grandes parties de mon travail. Il a parlé des “avocats crétins” des victimes lors du procès Barbie, mais je n’ai rien trouvé de plus, rien. Pourtant, je vous le répète, j’ai cherché. propos recueillis par Pierre Siankowski L’Avocat de la terreur de Barbet Schroeder (Fr., 2007, 2 h 15), le 22 août (22 h 40), l e 2 6 ( 22 h 20), le 29 (16 h 15), Planète+ retrouvez la critique de L’Avocat de la terreur sur

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Guillaume D. Cyr

Karim Ouellet Les constructions pop de ce Québécois ont conquis la Belle Province et débarquent en France, sous l’aile protectrice de Stromae.

I

l s’appelle Karim Ouellet, il a 28ans, et son nom est sur toutes les lèvres au Québec: L’Amour, l’un de ses titres phares, y est devenu un tube incontournable. Né à Dakar, où il a été adopté par des parents canadiens (francophones), il a passé son enfance

entre le Sénégal, la Tunisie, le Rwanda et Québec city. Fox, son deuxième album (entièrement en français), est une petite mine d’or. Jonglant entre Nirvana, le blues, Dylan et le hip-hop, il s’est construit un univers précieux, au songwriting lumineux et cascadeur.

Désormais, c’est la France qui s’apprête à accueillir les constructions pop protéiformes et modernes de ce kid que Stromae a déjà pris sous son aile (c’est toujours bon signe). Pierre Siankowski album Fox (Warner), sortie le 23 septembre

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retour de hype

Stromae

Mimy

La Prima Estate d’Erlend Øye

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“je vais reprendre quelques jours fin août, je pense”

Dimitri Payet

Guy Bedos

Nine Inch Nails

“t’étais en Grèce aussi toi ? Ah ben super”

Katsuni le clash Biba /LaFouine

Intérieur de Thomas Clerc

Charles-Baptiste

“on les rapporte, les raquettes de plage ?”

“Manuel Valls dans Secret Story ? C’est vrai, tu crois ?”

la barbe de6ans

Charles-Baptiste Son premier album, Aussi cool que toi, sera l’une des bonnes surprises de cette rentrée. La Prima Estate d’Erlend Øye Le petit génie norvégien (Kings Of Convenience, The Whitest Boy Alive) revient avec un tube en italien qui va nous faire la fin de l’été. Intérieur de Thomas Clerc Son appart

“Chuis grillé et y a même plus Vergès pour medéfendre”

fait 50m2, il y a vécu dix ans, et ça fait un roman passionnant. Dimitri Payet La recrue de l’OM est à fond pour la reprise. Katsuni part à la retraite (Marion Bartoli aussi, tsé). Guy Bedos is back, et il prend la défense d’Yvan Colonna. Avec ou sans moumoute ? Nine Inch Nails Le 24août à Rock en Seine. P.S.

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un gros coup de bar En plein cœur de l’été, le sénateur Europe Ecologie-Les Verts Jean-Vincent Placé nous est apparu avec un énorme poisson à la main. Pourquoi ?

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pêche d’orgueil Google Images regorge de pêcheurs àcasquette fiers de leur énorme poisson agonisant. Dans le monde étrange de la pêche, c’est à celui qui aura le plus gros. Même pour cerigolo de Poutine. Le29juillet, on a pu admirer Vlad en treillis avec un gros brochet, une photo qui incarne sa force virile et la puissance brutale de la grande Russie. Les clichés de pêche portent la lutte de l’homme pour remonter le monstre à la surface, son combat victorieux contre la nature (à l’inverse de

la philosophie écolo ?). Ernest Hemingway, qui aimait poser devant des poissons gigantesques, a décrit cette lutte épique dans Le Vieil Homme et la Mer, un combat de trois jours contre un marlin géant. Alors, Jean-Vincent, c’était chaud ces 47cm ? D’ailleurs, on espère que la “bête” fait bien cette taille car depuis l’arrêté du 26octobre2012, il est interdit de pêcher des bars inférieurs à 42cm (pour respecter la reproduction). Sinon, ça ne serait pas très écolo.

47centimètres de bonheur

En août, la France Twitter s’ennuie. Le réseau a un peu frémi le 12août grâce au pacu, poisson gobeur de couilles humaines. Le14, c’est avec un spécimen moins féroce que pose Jean-Vincent Placé à l’île d’Yeu. Le sénateur EE-LV (du signe des Poissons) accompagne ce bijou d’autodérision involontaire de ce commentaire: “Beau bar de 47cm pris au large a la ligne grâce aux conseils d’un maître pêcheur.” Par ces temps de disette, les twittos en chien attaquent. “Si le bar fait 47 cm lui mesure 2,50m”, se moque un inspecteur des travaux finis. “Beau bar ou bobard” ou “avec son bar, @JVPlace me met la pression”, ricanent les maîtres de l’humour à la française. Nicolas Miguet, héraut de l’antifiscalité, commente avec classe et intelligence: “Chez #EELV, on connaissait les ‘thons’ (nombreux, nombreuses... il suffit d’aller à un congrès), on connaît désormais ‘le bar de 47cm’. Sic” Une photo et des tweets ainsi analysés par la journaliste de l’AFP Sandra Laffont: “On touche le fond #twitterenaout.”

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fish & cheap L’été, chacun son style. Il y a ceux qui aimeraient qu’on les oublie, comme la ministre Michèle Delaunay dont le berger allemand, probable récidiviste, a griffé unenfant. Il y a ceux qui sont partout, comme Manuel Valls, qui médiatise son été, mixant déplacements politiques et “privés” (à cheval en Camargue comme Sarkozy en2007, ou emballant sa femme dans Paris Match). Il y a ceux qui aimeraient exister plus, comme François Hollande, qui a multiplié les sorties pour incarner sa préoccupation face au chômage. Et il y a ceux qui balancent leurs photos de vacances à l’arrache: banale, mal cadrée, absurde et drôle. Un cliché naturaliste à la Depardon. Le photographe s’était inspiré du cliché amateur pour la photo officielle de Hollande. Ici, Placé, pieds nus, est monsieur Tout-le-monde tout content de son petit poisson. Mais la haie est bien coupée et il n’a pas quitté son traditionnel pantalon de velours côtelé. Anne Laffeter 21.08.2013 les inrockuptibles 15

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où est le cool ?

James Archibald

par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

dans cette maison en Australie La commande ? Une maison ouverte, qui s’insère dans la campagne environnante, tout à la fois enveloppante etprotectrice. Dépassant les attentes, l’architecte James Stockwell a conçu CroftHouse, demeure auxlignes fluides etpoétiques àmi-chemin entre la soucoupe volante etl’abri anti-atomique. www.jamesstockwell.com.au

dans ces baskets vif-argent Bien que l’on ne soit pas particulièrement fan desbaskets de créateurs, on n’est pas insensible aucharme futuriste de ce modèle Balenciaga, maison désormais dirigée parAlexander Wang. 16 les inrockuptibles 21.08.2013

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chez Eckhaus Latta Ils sont diplômés de Rhode Island School of Design, se foutent des tendances et conçoivent des présentations s’apparentant davantage à des tableaux abstraits qu’à des défilés. Basés à Brooklyn, ZoeLatta et MikeEckhaus déploient leur vision du New York de demain via un vestiaire avant-gardiste qui mêle des références issues de la mode, de l’art contemporain, du cinéma ou du sport, comme ici. www.eckhauslatta.com

à chaque page de ThePlant Une couverture shootée par Wolfgang Tillmans, un poème de Tilda Swinton, unessai sur les jardins londoniens ouencore une analyse sur la signification des plantes dans les films de David Lynch: le magnifique The Plant est le plus arty etpassionnant des magazines dédiés aujardinage et à la culture botanique. www.theplant.info

Andre Herrero

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pour en finir avec lecapitalisme L’économiste et philosophe Frédéric Lordon déploie une critique radicale de la pensée libérale et du capitalisme financier depuis près de vingt ans. Iléclaire encore notre époque dans un nouveau livre ambitieux, La Société des affects.

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conomiste, philosophe, sociologue, dramaturge… Frédéric Lordon circule aisément entre plusieurs statuts, manie les mots, concepts, idées ou chiffres en choisissant de les décupler dans un même geste plutôt que de les découper en sous-catégories rigides. Un dramaturge espiègle se cache chez le sociologue objectif, un philosophe classique éclaire l’économiste hétérodoxe. En assumant de jouer avec les frontières figées du théâtre de la pensée, en revendiquant la nécessité de ne pas céder au didactisme simplificateur exigé par la sphère médiatique, Frédéric Lordon reste un intellectuel aussi discret que central dans le paysage de la pensée. A la mesure de sa rareté, sa parole médiatique fait pourtant à chaque fois du bruit et titille ses ennemis, dont beaucoup d’économistes écoutés dans les antichambres du pouvoir. Un passage éclair sur le plateau de Ce soir (ou jamais !) au moment de la crise des subprimes, quelques interventions dans des documentaires (Les Nouveaux Chiens de garde…) et des émissions sur internet (Arrêtsurimages.net), des prises de parole dans des journaux (dans Marianne, face à Emmanuel Todd, il y a quelques semaines…) ont révélé la puissance iconoclaste de ses visions à un public plus large que celui des arides travaux universitaires. Il suffirait pourtant de se plonger dans ses livres pour mesurer combien sa pensée touche à des questions essentielles nous concernant tous. De Fonds de pension, piège à cons ? (2000) à D’un retournement l’autre –Comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes et en alexandrins (2013)en passant par Et la vertu sauvera le monde... Après la débâcle financière, le salut par ‘l’éthique’ ? (2003)ou Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières (2008), tous ses essais déconstruisent magistralement les règles du capitalisme financiarisé. La singularité de son analyse critique du capitalisme actionnarial et des marchés financiers repose sur ses références répétées à la philosophie de Spinoza, dont

les fondamentaux lui servent à penser son époque autant que ceux de Foucault, Mauss, Durkheim ou Bourdieu. Une passion spinoziste qui se déploie dans des recherches sur l’autonomie, la confiance, le statut de l’étranger, le conflit, la précarité, le don, le care… Son nouvel essai, sous la forme d’un manifeste théorique d’explication du monde social, La Société des affects –Pour un structuralisme des passions, porte la marque de cette affection particulière pour le philosophe hollandais du XVIIesiècle. D’emblée, Frédéric Lordon avance que “la société marche aux désirs et aux affects” mais en reconnaissant que, paradoxalement, “les sciences sociales ont un problème avec le désir et les affects”. Construites comme sciences des faits sociaux, et non des états d’âme, elles portent une méfiance légitime envers toute forme de psychologie sentimentale. Pourtant, depuis quelques années, lepaysage des sciences sociales vit “un tournant émotionnel”. Nous redécouvrons les émotions, le sujet fait son retour, l’individu est remis au cœur du paysage politique: on s’intéresse à nouveau à ses sentiments après avoir décortiqué ses actions ou ses discours. Or, selon Lordon, ce regain d’intérêt est ambivalent, en ce qu’il masque la puissance des structures et des institutions, qui comptent autant que les affects dans la compréhension de nos actes, gestes et pensées. “Les affects ne sont pas autre chose que l’effet des structures dans lesquelles les individus sont plongés”, précise-t-il, en reliant Spinoza à l’autre penseur-clé de son système analytique, Pierre Bourdieu. Le “structuralisme des passions”, dont il trace les lignes théoriques tout au long du livre, émerge de cette tension entre le concept

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Emmanuelle Marchadour

“la moralisation est le nom choisi par l’industrie financière pour reconduire le statu quo”

de conatus de Spinoza et celui d’habitus de Bourdieu. Leconatus de Spinoza désigne précisément les énergies désirantes individuelles, les affects qui mettent les corps en mouvement, déterminés à accomplir des choses particulières. Pour Bourdieu, à l’inverse, parler de désirs et d’affects, c’était aller trop loin dans “la détorsion subjectiviste de l’excès objectiviste”. La plupart des choses extérieures qui nous affectent et nous meuvent sont d’abord sociales, souvent conflictuelles. Les individus ne se comportent que dans les rapports sociaux où ils sont pris. “Il y a des structures, et dans les structures, il y a des hommes passionnés; en première instance, les hommes sont mus par leurs passions ; en dernière analyse, leurs passions sont largement déterminées par les structures.” Ce sont les structures qui descendent dans la rue, disait-on en mai 68: Lordon affirme, lui, que “ce sont bien des corps individuels désirants qui y descendent”, mais en ajoutant malicieusem*nt qu’“ils n’y descendent que pour avoir été affectés adéquatement dans et par les structures, c’est-àdire, et ceci sans aucun paradoxe, qu’ils y descendent pour s’en prendre aux structures qui les y ont fait descendre –parce qu’elles ont fini par se rendre odieuses.” Méfions-nous donc de la croyance naturelle dans la force de la volonté individuelle, détachée du contexte dans lequel elle s’inscrit. La vertu n’appartient pas aux individus, prévient Lordon, “elle est l’effet social d’un certain agencement des structures et des institutions telles qu’elles configurent des intérêts affectifs au comportement vertueux”. L’exemple le plus éclairant de cette ambivalence de la vertu individuelle renvoie à la fameuse moralisation de la finance, promise par nos dirigeants depuis cinq ans. “Il fallait croire

à la Pentecôte ou à la communion des saints pour imaginer qu’un univers comme la finance, structuralement configuré pour maximiser les intérêts matériels (et symboliques) au gain spéculatif, pût connaître une régulation spontanée par la vertu, observe Lordon. Apart l’hypothèse de la sainteté, comment imaginer demander aux individus de la finance de réfréner d’eux-mêmes leurs ardeurs spéculatives quand tout dans leur environnement les incite à s’y livrer sans frein? (…) La moralisation est le nom choisi par l’industrie financière pour reconduire le statu quo; dans un univers aux intérêts aussi puissamment structurés, la moralisation est l’autre nom du rien, le choix même de l’inanité politique.” Seul un geste d’arraisonnement brutal –réglementaire, légal et fiscal–, et non des contre-feux individuels, pouvait mettre un terme au fléau de la finance toute puissante. C’est aussi pourquoi Lordon critique les fauxsemblants de la supposée “radicalité” souvent invoquée dans la lutte contre le néolibéralisme: la vraie radicalité (prendre les choses à la racine) antilibérale consiste moins, selon lui, à prôner la nationalisation des banques qu’à “s’en prendre à la matrice inscrite au plus profond de nos esprits, celle que nous transportons en toute inconscience”. Autant dire que la tâche semble rude. En associant, dans un même élan de pensée, le jeu des affects et la force des ordres institutionnels, en réconciliant les sciences sociales et la philosophie, Frédéric Lordon ne cède ni à la facilité scientifique de l’analyse frontale, ni à l’allégresse politique des grands soirs. Jamais dupe des ruses de la raison néolibérale, il n’a que la lucidité et la clairvoyance comme garde-fous contre les affects tristes et les afflictions de la crise. Lire Lordon, c’est aussi se préserver des égarements du politique, des pièges à cons, des fausses évidences. Jean-Marie Durand La Société des affects –Pour un structuralisme des passions (Seuil), 288 pages, 22 €, en librairie le 5 septembre et aussi D’un retournement l’autre –Comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes et en alexandrins (Points Essais) 21.08.2013 les inrockuptibles 19

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Benicio Del Toro

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rentrée cinéma

fortes têtes

La fougueuse Rebecca Zlotowski, le parrain des ados skateurs Larry Clark, la secrète mais décidée MarineVacth… La rentrée cinéma charrie une belle vague de cinéastes et d’acteurs en liberté, dont le moindre n’est pas Benicio Del Toro, impressionnant en Indien traumatisé par la guerre dans le nouveau film d’Arnaud Desplechin, Jimmy P., et qui se révèle un insatiable cinéphile. propos recueillis par Jacky Goldberg photo Benni Valsson pour Les Inrockuptibles

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rentrée cinéma

O

n s’attendait à rencontrer un homme bougon, pas bavard et vaguement bad boy ; c’est en réalité l’acteur américain le plus drôle et affable qui s’assied devant nous, sur la terrasse du cinéma du Panthéon à Paris, antre de Pascal Caucheteux (producteur de Jimmy P. et de tous les films d’Arnaud Desplechin) aux étagères remplies de revues de cinéma. Né en 1967 à Porto Rico, Benicio Monserrate Rafael Del Toro Sanchez a débuté au cinéma dans un drôle de James Bond, Permis de tuer (avec Timothy Dalton), comme bras droit d’un baron de la drogue. Depuis, il en a tâté, du type louche: Usual Suspects (de Bryan Singer, qui le fit connaître en 1995), Nos funérailles (Ferrara, 1996), LasVegas Parano (Terry Gilliam, 1998), Snatch (Guy Ritchie, 2000), Traffic (Soderbergh, 2000), 21grammes (Iñárritu, 2003), Sin City (Robert Rodriguez, 2005), Savages (Oliver Stone, 2012) –et même le Che, après tout (Soderbergh encore). La gueule de l’emploi ? En costard-basket, visiblement inspiré par l’air du Quartier latin, le tough guy préféré des jeunes filles nous surprend surtout par sa cinéphilie –assez rare chez ses confrères, à ce degré en tout cas– et son désir d’en parler avec nous. Vous n’êtes pas d’origine indienne. N’est-ce pas étrange de la part d’Arnaud Desplechin de vous avoir choisi pour interpréter Jimmy P. ? Comment vous y êtes-vous pris pour composer ce personnage ? Benicio Del Toro –C’était un peu étrange, oui… Pas autant que s’il m’avait demandé de jouer un Islandais, mais bon. Il a su me convaincre de la pertinence de son projet. Pour commencer, il était très modeste lorsqu’il parlait de ses films ; ça m’a plu. Ensuite, en plus du scénario, il m’a donné de la matière intellectuelle: le livre de Georges Devereux (le psy et anthropologue qui inspire le film –ndlr) pour commencer. Le plus important pour moi n’est pas à quoi je vais ressembler ou comment je vais parler, mais est-ce que j’ai bien compris le film. Le livre de Devereux, qui est long, ardu, m’y a aidé… Ce n’était pas un rôle facile. Est-ce que j’aurais pu être meilleur ? Oui, sans doute. Si j’avais fait ci ou ça. Et si, et si, et si… Il faut apprendre à laisser passer –pas le temps pour les regrets.

“faire un film, c’est comme faire la guerre. C’est ‘allons prendre cette colline, tout de suite !’, et pas ‘tu te rappelles ce que le général machin a fait lors de la bataille bidule ?’ On n’a pas le temps de philosopher”

Arnaud Desplechin vous a-t-il laissé beaucoup de marge pour créer ce personnage ? Il était très précis, il cherchait à aller à l’économie. Parfois, il me laissait de la marge pour improviser, quand on se rendait compte que ce qui était écrit ne marchait pas… La dernière séquence onirique, sous la tente, par exemple. Je devais marcher vers la tente, et j’ai décidé de courir. Ne me demandez pas pourquoi, je l’ai simplement senti comme ça. Et Arnaud a aimé l’idée. On a réussi à trouver un terrain d’entente. Le film est là – je ne serais pas là pour en parler sinon (sourire). Globalement, le tournage a été difficile ? Assez, ouais. Le fait de tourner les scènes dans le désordre complet ne me simplifiait pas la tâche. Ça me demandait une concentration constante. J’étais obligé de rentrer chez moi réviser le soir, plutôt que d’aller boire des verres (rires) ! C’est une bonne technique, remarque. Enfin, tout ça est normal, c’est mon job. Repensant aux scènes de rêves de Jimmy P., je me rends compte que beaucoup de vos films ont un aspect onirique. Votre interprétation évoque souvent le rêve à demi-éveillé, un état de conscience intermédiaire… Ah oui ? (il réfléchit longuement) J’aime analyser mes rêves, et j’aime ces moments de semi-sommeil que vous évoquez, en effet... (il baisse d’un ton) Il m’est souvent arrivé d’interpréter la réalité comme s’il s’agissait d’un rêve. Je vais vous donner un exemple (il chuchote désormais). Ça s’est passé à la fin du tournage de Usual Suspects. Le dernier jour. On était à El Segundo, en Californie. Je rentrais chez moi en voiture. J’étais très incertain quant à ma performance sur ce film. Pour tout vous dire, je pensais même avoir été mauvais. Je me disais que c’était la fin de ma carrière, que j’allais devoir retourner à la fac, étudier. Bref, je rentrais chez moi… et puis je me suis perdu... Vous connaissez El Segundo ? Il y a des raffineries, avec des tas de lumières la nuit. Et je me retrouve là, complètement déprimé. Complètement perdu au milieu d’un paysage de SF ! Et soudain, j’aperçois une voiture. C’est la même voiture que celle que mon père utilisait pour me conduire à l’école. La même ! Même marque, même couleur: une Dodge 72, jaune avec le toit marron – on l’appelait “la banane”, c’était la voiture la plus laide du quartier. Je n’en crois pas mes yeux. Alors je me mets à suivre la voiture… Vous savez, mon père était du genre sévère, du genre “si tu prends une décision, tu dois l’assumer” (il fait les gros yeux). Alors je suis la voiture et… et en quelques minutes, me voilà à la maison (sourire) ! On track again. Vous vous intéressez à la psychanalyse ? Oui, oui. Tout ce dont parle le film m’est familier. Je respecte la psychanalyse, j’aime interpréter mes rêves. Peut-être que je fais erreur quand je le fais, mais j’essaie –c’est la règle numéro un– de le faire honnêtement, de ne pas me mentir à moi-même.

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Dans Jimmy P., Benicio Del Toro incarne un Indien Blackfoot perturbé par la guerre, face à Mathieu Amalric dans le rôle Georges Devereux, le fondateur de l’ethnopsychiatrie

Vous disiez que Desplechin vous avait nourri intellectuellement. Est-ce que c’est aussi passé par des films ? Un petit peu, mais pas tellement. Il m’a demandé de voir The Exiles, un film de Kent MacKenzie sur de jeunes Indiens à L. A., et Que la lumière soit, un documentaire de John Huston sur les traumatismes psychiques des soldats. Bien sûr, on a également parlé de Vers sa destinée de John Ford, en particulier de l’extrait qu’il cite dans son film, avec le bâton. Il ne m’a pas détaillé les raisons pour lesquelles il l’a choisi, mais ça me paraît assez évident: on y voit Henry Fonda parler à un fantôme et prendre une décision capitale… (il réfléchit) Faire un film, c’est comme faire la guerre. C’est “allons prendre cette colline, tout de suite !”, et pas “tu te rappelles ce que le général machin a fait lors de la bataille bidule ?” On n’a pas le temps de philosopher. Vous semblez très cinéphile… Je le suis devenu. J’aime voir de vieux films, des films étrangers, lire des livres sur les cinéastes… Je suis arrivé hier matin, et la première chose que j’ai faite après m’être installé à l’hôtel a été d’aller voir un film, dans ce cinéma qui s’appelle l’Action Christine. Le film était Berlin Express, de Jacques Tourneur, avec Robert Ryan. Le film était bon, mais l’expérience était extraordinaire: être dans une salle de cinéma

pleine à 14 heures, pour regarder un film fait dans les années40, c’était presque comme voyager dans le temps. Ou comme faire un rêve. J’y retourne ce soir, pour voir Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston. Quel sont vos films préférés ? Los Olvidados. Sur les quais. Papillon, un film de 1973 avec Steve McQueen et Dustin Hoffman, de Franklin Schaffner: le seul film que je me souviens avoir vu avec ma mère. Et le dernier film que j’ai vu qui m’a fait une très forte impression est français, d’un réalisateur que je ne connaissais pas et dont j’aimerais voir tous les films désormais: La Maman et la Putain. J’en avais vu une quinzaine de minutes l’an dernier, et je m’étais endormi –il était tard. L’autre jour, je suis retombé dessus –j’adore Jean-Pierre Léaud–, je l’ai remis dans le lecteur et là, boum !, je me suis fait complètement prendre. Genre wow ! (il se lance dans une suite d’onomatopées). Pendant trois heures et demie, je me suis dit “mais qui est le type qu’a fait ça ?!” C’est pas Truffaut, c’est pas Godard, c’est pas Vigo, c’est qui, putain ? Jean Eustache (prononcé avec un accent très fort) ! Quel génie, putain. Maintenant, il me le faut en DVD, parce que j’ai une copie VHS pourrie – hélas, on m’a dit que ça n’existait pas. On m’a dit aussi qu’il fallait que je voie Mes petites amoureuses.

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rentrée cinéma

Avant d’être vous-même acteur, quels étaient ceux qui vous fascinaient ? Adolescent, j’admirais Steve McQueen, comme tout le monde je crois. De façon plus originale, j’aimais Boris Karloff et Lon Chaney parce que mon père me montrait leurs films quand j’étais petit. Et puis Eddie Murphy, Richard Gere… Robert DeNiro et Al Pacino évidemment. Puis, quand j’ai commencé à jouer à la fin des années 80, mon admiration s’est portée sur Sean Penn et Tom Cruise. Et puis Jean-Pierre Léaud ! Et Marcello Mastroianni ! Et Toshirô Mifune ! Et Alain Delon ! Et Michel Piccoli dans La Belle Noiseuse: pfwaouw… Comment êtes-vous devenu fan de Jean-Pierre L éaud ? Je ne viens pas d’une famille où le cinéma compte. Adolescent, je voyais quelques trucs en VHS, ou à la télé. Des James Bond, des Clint Eastwood et des John Wayne –que mon père adore–, des trucs comme ça. Le tout premier film que j’ai vu sur les conseils de quelqu’un, c’est Les 400Coups. J’avais 20 ans, ça a été un sacré choc. Ensuite, avec mes potes, on n’arrêtait pas d’imiter Jean-Pierre Léaud quand son père lui donne un fanion: “club de Lyon ! (sifflet)”… J’ai commencé à développer un culte pour ce film. Apartir de là, je suis allé vers Fellini, vers Godard, vers les Japonais… Tout ça en désordre, de fil en aiguille. Et d’un coup j’ai découvert les Russes (yeux écarquillés, comme un enfant) ! Et puis les Latino-Américains ! Et puis je suis revenu vers les Américains, avec un regard neuf. Et depuis, je n’ai pas cessé de voyager… Enfant, vous étiez comme le héros des 400Coups ? Complètement. Je n’ai pas volé de machine à écrire, mais j’ai dû voler quelques bouteilles de lait (il se met à imiter la scène). Je m’identifie pas mal au héros de L’Attrape-Cœurs aussi. Ouais, j’étais ce genre de gosse. Un outsider, donc ? Est-ce que vous vous sentez toujours ainsi, à Hollywood notamment ? Il se pourrait bien que je sois un outsider dans ma propre maison, vous savez(rires) ! Bon, déjà, quand vous êtes un Latino à Hollywood, vous êtes fatalement un outsider. Il n’y a pas tant de réalisateurs latinos, ni d’histoires de Latinos. On m’a demandé de changer mon nom quand j’ai commencé. On m’a prévenu que je jouerais beaucoup de jardiniers, de dealers… Cela dit, je serais culotté de me définir comme un outsider dans la mesure où j’ai eu la chance de jouer avec les plus grands ; pour beaucoup, je serais plutôt un insider. Certes, mais beaucoup de ces réalisateurs ne sont pas au cœur du système, plutôt à sa marge: Steven Soderbergh, Oliver Stone, Alejandro González Iñárritu, Robert Rodríguez, Julian Schnabel,

“l’autre jour, je suis tombé sur La Maman et la Putain… Pendant trois heures et demie, je me suis dit ‘mais qui est le type qu’a fait ça ?!’ C’est pas Truffaut, c’est pas Godard, c’est pas Vigo, c’est qui, putain ? Jean Eustache ! Quel génie !”

Terry Gilliam, William Friedkin, Abel Ferrara… Vous êtes célèbre sans être un acteur mainstream. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? J’aime bien les underdogs (les sans-grade –ndlr). Je les ai toujours aimés, depuis que je suis gosse. C’est comme ça. Quant à savoir pourquoi mes films ont marché, difficile à dire… Même s’ils sont indépendants, ils ont presque toujours fini par être distribués par les studios. C’est une situation assez confortable, en fait: j’ai eu la liberté et la renommée en même temps. Vous pensez que Soderbergh va manquer à H ollywood ? Oh oui ! Mais je ne pense pas qu’il se retire pour toujours. Il reviendra. Le diptyque du Che avait été particulièrement éprouvant pour vous deux, non ? En effet. C’est assez proche de l’expérience Jimmy P., d’ailleurs. On a tout tourné dans le désordre. Le premier épisode était fondé sur des mémoires écrits rétrospectivement: ça a donné un film assez classique. Le deuxième se fondait sur un journal écrit quotidiennement: ça a donné un film très rugueux, répétitif, amer – un film vraiment étrange. J’aime beaucoup ce que donne l’ensemble. Soderbergh, comme Desplechin, a fait un film très honnête (il trace une ligne devant lui avec sa main), un film qui file droit. Vous avez tourné dans le film de Terrence Malick sur la musique à Austin, Texas. C’était comment ? (Sourire) Vous savez sans doute que Terrence n’aime pas qu’on parle de ses films, et encore moins de lui. Je respecte ça, d’autant plus qu’on est amis. Il a travaillé sur Che en amont, il a même failli le tourner, et c’est finalement Steven qui l’a fait – donc je le connais bien. Tout ce que je peux dire, c’est que tourner avec lui ne ressemble à rien d’autre. Ou simplement à faire de la musique: c’est comme une jam session avec Miles Davis ou Eric Clapton. Mets-toi là, joue de la guitare (il se met à jammer dans le vide) Babeulatabatabata. Joue la basse. Tougoudougoudou… Vous venez d’annoncer que vous serez au casting de Guardians of the Galaxy, un film de superhéros de la branche DC Comics. Ça ne vous ressemble pas tellement… Quand quelqu’un vous appelle et vous dit: “j’ai besoin de vous dans mon film”, c’est excitant. J’aime les films de superhéros, et je n’avais jamais eu l’occasion de m’y coller. Le personnage s’appelle The Collector, je ne le connaissais pas et je commence juste à me documenter sur lui… Un film de studio peut être harassant, mais c’est amusant d’en faire de temps en temps. Vous avez des dizaines de gens sur le dos qui vous bombardent d’informations ; faut pas se planter. Par exemple, on vous dit “Bon, maintenant tu dois entrer dans le restaurant et tuer machin”. Et toi t’es là : “Qui ça ? La nana avec les cheveux bleus, ou le type avec la perruque ?” Et t’obtiens pas de réponse. Et soudain, t’entends “Action !” Et tu dois te démerder: alors tu tires dans le tas et ils se démerderont au montage. Jimmy P. – Psychothérapie d’un Indien des plaines d’Arnaud Desplechin, avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric en salle le 11 septembre 21.08.2013 les inrockuptibles 25

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Après Belle épine, Rebecca Zlotowski scrute le monde des ouvriers du nucléaire dans Grand Central et fait de nouveau irradier Léa Seydoux. par Serge Kaganski photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

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lle parle, elle parle, elle parle, Rebecca Zlotowski. Elle est intarissable sur son deuxième film, Grand Central, classique triangle amoureux plongé dans le bain toxique d’une centrale nucléaire. A l’origine, un roman d’Elisabeth Filhol, La Centrale. “C’est la première fois qu’on parlait avec précision du nucléaire, raconte la cinéaste, et c’était de la littérature. Jelis le roman dans la nuit, et dès le lendemain, ça se lève comme un choc émotionnel très fort. L’idée de faire dialoguer une histoire d’amour avec ce monde-là est née, comme j’insérais une fiction dans un milieu de motards dans Belle épine. C’était aussi la possibilité d’interroger l’état amoureux, un état un peu gazeux, indescriptible… Lecinéma me permettait peut-être de faire une pédagogie de la perception.” Malgré la catastrophe de f*ckushima, survenue en milieu d’écriture, Rebecca Zlotowski n’aborde pas le nucléaire sous l’angle spectaculaire mais avec une approche plus quotidienne. “Grand Central n’est pas un documentaire mais une fiction documentée. On ne pouvait pas faire l’économie d’une enquête. Lemétier nucléaire agit sur le corps des hommes et je trouvais dommage que le cinéma n’explore pas davantage la façon dont les métiers modifient nos carcasses.” Avec ses hommes à la dure, son village de caravanes, ses rives fluviales, Grand Central est infusé de cinéma, et des films comme Casque d’or, Toni, L’Etoffe des héros s’en échappent comme des émanations. La cinéaste assume ses références mais s’en méfie aussi: “Jen’aborde jamais le cinéma par les genres, je ne me dis jamais ‘on va écrire une comédie romantique ou un mélodrame social, etc.’ De même que je ne cherche jamais à m’inscrire dans un héritage ou contre un héritage.” Elle compare

Grand Central à un essai sur la mélancolie, façon essais médicaux du XVIIIe siècle. “Je voulais percer le mystère de la mélancolie quand on a quelqu’un dans la peau.” Beau et vaste programme, au cœur duquel une Léa Seydoux transfigurée, presque masculine, tient une place… centrale. Actrice fétiche de Rebecca, Seydoux n’est pas son double mais son grand autre, aussi blonde que la cinéaste est brune. “Elle me touche par sa féminité sans minauderie, je suis très sensible à ça. Je trouve mon film très féminin… enfin, féminin, on finit par ne plus savoir ce que signifient ces notions.” Le brouillage des genres, le chamboule-tout des catégories, l’altérité attirent au plus haut point Rebecca Zlotowski, femme qui filme un monde majoritairement masculin, Parisienne petite bourgeoise regardant des ouvriers provinciaux. Elle s’insurge contre l’idée d’un cinéma du “chacun à sa place”: “Renoir a fait Toni, c’était un grand bourgeois, et alors ? On s’en bat les couilles ! Le cinéma sert à ça, visiter des mondes étrangers et les observer de façon intègre.” Rebecca Zlotowski est venue aux images par la culture télé. Son père (l’interprète-traducteur Michel Zlotowski) lui interdisait le petit écran, mais la petite Rebecca matait en cachette LaCinq, les clips, les films d’horreur, les séries nazes, les navets érotiques de M6… Un jour, elle perd sa mère. Une amie de la maman est prof, responsable de l’option cinéma du lycée. Rebecca s’y intéresse, découvre le grand cinéma, Fritz Lang, les Italiens. Elle fait des études, ENS, puis Fémis, devient prof de français et de cinéma. “Je donnais des cours sur le documentaire, mais j’étais une prof nulle, je ne préparais pas. J’ai aussi enseigné le français en montrant des clips de Michael Jackson comme Thriller…

Mais je ne me voyais pas faire ce métier dix ans. Mon envie, c’était d’écrire des films –pas forcément de réaliser.” C’est son producteur qui la poussera derrière la caméra. Personnalité marquante du “jeune cinéma français”, Rebecca Zlotowski est restée très gourmande de films et notamment de ceux de ses camarades de génération. Elle cite Céline Sciamma, Katell Quillévéré mais aussi Claire Denis, Alain Guiraudie, elle collabore avec Teddy Lussi-Modeste, Yann Gonzalez ou Philippe Grandrieux, a aimé La Bataille de Solférino de Justine Triet, s’intéresse au cinéma philippin, de Brillante Mendoza à Raya Martin, elle admire Doillon ou Brisseau (qui fut son prof). “J’aime bien les cinéastes qui m’apprennent comment me maquiller, m’habiller, rouler une pelle !” Au-delà de son intelligence et de sa curiosité, on admire chez Rebecca Zlotowski son aplomb, son caractère cash. Elle adore Paul Thomas Anderson et en profite pour me reprocher ma critique négative de There Will Be Blood: “J’étais dégoutée par Les Inrocks cette semaine-là: Cloverfield, qu’on oublie deux secondes après l’avoir vu, dix-huit étoiles, et There Will Be Blood, ‘faux chef-d’œuvre’ ! Putain, des ‘faux’ chefs-d’œuvre comme ça, je veux bien en faire.” Plus loin, alors que je lui demande si elle et son supposé compagnon Jacques Audiard ont des conversations de cinéma, elle me renvoie dans les cordes car elle estime ma question misogyne, sans intérêt et au-delà des limites de la vie privée. La Zlotowski possède une personnalité aussi entière que forte, dont a besoin le cinéma français. Laissonsnous contaminer par les amours toxiques de son Grand Central. Grand Central de Rebecca Zlotowski, avec Tahar Rahim, Léa Seydoux, Olivier Gourmet en salle le 28 août

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“je voulais percer le mystère de la mélancolie quand on a quelqu’un dans la peau”

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rentrée cinéma Larry Clark au milieu de ses jeunes acteurs skateurs, ledernier jour du tournage

park d’attr a Larry Clark a passé plusieurs semaines en France pour r dans le milieu du skate parisien. Visite sur un tournage m

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r action

r réaliser son premier film hors des Etats-Unis, un teen-movie e mouvementé. par Romain Blondeau photo Sébastien Bossi pour les Inrockuptibles 21.08.2013 les inrockuptibles 29

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rentrée cinéma Larry Clark met en place ses comédiens avant le tournage d’une scène

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e soleil tape très fort à Paris ce matin du 17juillet. Une petite équipe de tournage s’est installée à l’aube sur le parvis bas du Palais de Tokyo. Caméras et projecteurs sont déjà branchés. Aquelques mètres de là, une cinquantaine de jeunes de 12 à 20ans, tous perchés sur des skates, attendent impatiemment que l’on donne le clap. “Action!” Troisd’entre eux doivent se rapprocher de lacaméra, tourner sur eux-mêmes, effectuer quelques tricks précis et repartir vers leur point dedépart. Lemouvement a été répété, minutieusem*nt réglé, mais la situation déraille: d’autres skateurs entrent dans le champ, les lignes bougent, tout lemonde s’agite et le parvis ressemble bientôt à une grande fourmilière anarchique, audésespoir d’un assistant. “C’est le problème quand ontourne avec cesgamins: ils sont incontrôlables”, ironise un technicien, tandis qu’un type plus âgé déboule au milieu de la bande de kids, qu’il sermonne d’une voix tranchante tout en agitant sa canne. Chapeau noir vissé sur la tête, pantalon gris maculé de taches et chemise ouverte sur un T-shirt floqué d’un “Jesus Trash”, il a l’air d’un vieux punk illuminé. Lui, c’est “le boss” du plateau: Larry Clark, lephotographe et réalisateur septuagénaire, figure clé du cinéma indépendantUS depuis le milieu des nineties, auteur de Kids, Bully, Ken Park, Wassup Rockers etd’autres titres qui l’ont imposé en témoin privilégié del’adolescence yankee. Il est ici depuis une dizaine

dejours pour le tournage de son nouveau film, The Smell of Us, le premier qu’il réalise en dehors des Etats-Unis et dans une langue étrangère, “le plus grand défi de sa carrière”, assure l’un de ses producteurs, Pierre-Paul Pulji*z. “Larry est hyper excité par ce projet, il s’est investi comme un dingue depuis le début, ajoute-t-il. On a l’impression qu’il atteint une forme d’accomplissem*nt artistique, qu’il n’a jamais été aussi loin dans son cinéma. Hier, il m’a envoyé trois mails dans la nuit, il disait: ‘Jecrois que je suis en train de faire mon masterpiece’.” Ce projet parisien, Larry Clark en rêve depuis plusdetroisans maintenant. Depuis sa rencontre avecunjeune gars de Nantes, un poète noctambule vaguement étudiant, Mathieu Landais, aka Scribe, 19ans à l’époque. “La première fois que j’ai rencontré Larry, par l’intermédiaire d’un ami commun, on a eu unéchange très long et très personnel sur le cinéma, l’adolescence, la poésie”, se souvient le jeune auteur. Une idée de film naît de leur dialogue, qui se précise quelques mois plus tard, en2010, lorsque les deux hommes se revoient à l’occasion de l’exposition desphotographies du cinéaste organisée au musée d’Artmoderne de la Ville de Paris –et flanquée d’unetrèspolémique interdiction aux moins de 18ans. “Larrys’était passionné pour le milieu du skate parisien, commente Scribe. On a passé la nuit à imaginer le film que l’on pouvait en tirer, à rassembler des images, des anecdotes. Puis il est reparti à NewYork et j’ai commencé à écrire le scénario, sans trop savoir ce que je faisais.”

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En haut : Lukas Ionesco incarne Matt, un des héros du film. Ci-contre : un figurant sur la passerelle Debilly, au pied du Palais de Tokyo. A droite, Michael Pitt, stagiaire de luxe

un ballet d’une cinquantaine de skateurs, qui se croisent et se heurtent parfois, une symphonie de gestes hyper chorégraphiés Comme il l’avait déjà expérimenté en1995 avec Harmony Korine pour Kids, Larry Clark a laissé unetotale liberté au jeune Nantais dans l’écriture deson nouveau film. “Je suis parti du mode opératoire deLarry: je me suis immergé dans l’univers du skate, j’aiappris à le comprendre et à l’aimer. Ça va donner unréalisme très cru, avec en marge des moments plus poétiques”, rapporte l’auteur. Lorsqu’il reçoit le script définitif, le producteur hallucine: “C’est étouffant jusqu’à la nausée, brutal, très noir.” Il y est question d’une bande de potes zonards passant leurs journées entre skate etdéfonce, et plus précisément de deux garçons quis’initient à la prostitution, par ennui et pour le fric. “C’est une adolescence sans limite, mais qui n’a rien à voir avec celle de Kids, dit Scribe. Ces jeunes sont lucides, ultra informés. Ils connaissent le sida, les dangers de ladrogue, et cherchent juste à retrouver des sensations. Avec les réseaux sociaux, les nouveaux modes de communication, ils ont aussi perdu la notion du lien humain et une grande part du film est consacrée à ce rapport perturbé au réel” (des images extraites de téléphones portables seront même intégrées au montage final –ndlr). Pour trouver les jeunes capables d’incarner sa troupe d’ados, Larry Clark a aussi fait confiance à son scénariste, qui a écumé pendant des mois les clubs etles squats de Paris, avant de jeter son dévolu surquatre noms, apprentis acteurs ou non-professionnels: Hugo Behar-Thinières, Diane Rouxel, Théo Cholbi, et Lukas Ionesco, fils

de la cinéaste Eva Ionesco. Quatrenouveaux visages d’une jeunesse furieuse et contestataire (“On sent qu’ils ont eu leur part de vie, leurlot de bonnes et de mauvaises expériences”, dit d’eux Scribe) auxquels devaient s’ajouter desnoms plus célèbres: Isabelle Huppert, approchée un temps par lecinéaste, mais qui a dû annuler pour incompatibilité d’agenda, et Pete Doherty, annoncé dans un second rôle il y a quelques mois etfinalement disparu des radars. “Pete est quelqu’un qui n’aime pasl’autorité, alors face à un gars de la trempe de Larry, c’était impossible”, résume le scénariste. Mais qu’importe, Larry Clark tenait l’essentiel : seskids, avec qui il a vécu en autarcie avant letournage et noué des relations très étroites. Lorsqu’il nous reçoit sur le plateau, cette proximité établie entre le cinéaste et les jeunes acteurs semble apriori évidente, naturelle. Larry Clark se fond dans lamasse des figurants, adopte leurs codes et braille des indications pour organiser la scène d’ouverture, l’une des plus complexes du film: un ballet d’une cinquantaine de skateurs, qui se croisent et se heurtent parfois, une symphonie de gestes hyper chorégraphiés. Comme à son habitude, le cinéaste laisse tourner deuxcaméras en même temps: l’une disposée enretrait ; l’autre en mouvement perpétuel, derrière laquelle il s’agite nerveusem*nt, passant à l’extrême limite du champ. A ses côtés se tiennent la chef opératrice Hélène Louvart (qu’il a choisie après avoir vuson travail pour Ma mère 21.08.2013 les inrockuptibles 31

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rentrée cinéma A gauche : les acteurs et figurants, tous issus du milieu du skate parisien, se rendent sur le plateau. Ci-dessous : Diane Rouxel (Marie) en compagnie de Ryan Benyaiche (Guillaume)

“c’est étouffant jusqu’à la nausée, brutal, très noir” Pierre-Paul Pulji*z, producteur

de Christophe Honoré) et un jeune type au teint blafard planté près d’un combo. C’est Michael Pitt, l’acteur de Bully et ami de Larry Clark, revu ensuite dans Last Days de Gus Van Sant. “Ilsse sont retrouvés il y a quelques jours lors d’un concert de punk et Larry est venu me voir en me demandant une faveur: Michael voulait être stagiaire réalisateur sur le film ! Alors, depuis, il l’accompagne, et prend parfois la caméra ou s’occupe des prises de son”, se marre Pierre-Paul Pulji*z. Entouré d’intimes et d’une équipe technique dévouée, Larry Clark avait toutes les clés en main pour réaliser un grand film, se disait-on alors en quittant le plateau. Il ne restait plus que troissemaines de tournage, laproduction semblait confiante. Mais quelques jours plus tard, fin juillet, l’atmosphère allait radicalement changer: le cinéaste décidait d’annuler ses interviews et imposait à son équipe un silence absolu. En coulisse, des témoins rapportent que le film a pris une tout autre direction: l’histoire a été modifiée et le casting décimé, Hugo Behar-Thinières, Théo Cholbi et Lukas Ionesco ayant été priés de quitter le plateau. Officiellement, onexplique que Larry Clark a eu “une prise de conscience vis-à-vis du scénario”. “Il se sentait à l’étroit, alors il a décidé de se séparer de ces trois personnages, note leproducteur. Larry a toujours fonctionné commeça: il a besoin de provoquer un chaos pour avancer. L’histoire n’en sera pas perturbée, il avait presque tout tourné avec ces acteurs, mais d’autres personnages apparaissent et des éléments plus autobiographiques ont été intégrés.” “Il voulait se mettre en danger, évoluer et ne surtout pas se répéter”, ajoute Hélène Louvart. Officieusem*nt, l’affaire semble un peu plus compliquée: sous couvert d’anonymat, un membre

de l’équipe affirme que Larry Clark aurait en fait “complètement vrillé” et qu’un conflit violent aurait précipité la rupture avec ses acteurs. “Sans aucune raison apparente, il s’est embrouillé avec Hugo dans une voiture et lui a dit qu’il pouvait partir, qu’il se passerait désormais de son personnage. Par solidarité, les deuxautres acteurs, Théo et Lukas, ont fait savoir qu’ils s’opposaient à cette décision. Et ils ont été virés àleur tour.” Au cœur du problème, ce témoin pointe lesexigences de Larry Clark: “Il voulait que les jeunes restent toujours dans la peau de leurs personnages, même après le tournage, même leweek-end. C’étaittrèstroublant pour eux.” “Le souci, c’est queLarryn’avait pas compris que tu ne peux pasdemander lamême chose à des gamins américains issusde classes défavorisées qu’à des jeunes Français plus bourgeois: il y a eu unchocculturel”, reconnaît Pierre-Paul Pulji*z, qui tente néanmoins de rester positif: “Larry sait où il va, ceschangements de plans n’auront pas affecté le film.” Si le producteur cherche à étouffer toute forme de controverse, c’est aussi que le projet The Smell of Us reste économiquement fragile. Toujours en recherche de financements, le film a pour l’instant bénéficié d’un budget serré d’1,6million d’euros, rassemblés par Pierre-Paul Pulji*z et son associé Gérard Lacroix sous la bannière Morgane Production, et Christophe Mazodier (Polaris Film). Ils ont pu compter sur une aide de la région Île-de-France ainsi que sur l’avance sur recettes duCNC, mais ont dû faire sans les chaînes detélévision. Une chose est sûre: le grand projet parisien deLarry Clark traîne déjà une forte odeur de soufre.

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première rencontre Venue du mannequinat, Marine Vacth est la révélation de Jeune & jolie de François Ozon. Où brille son jeu fin et retenu, sa cinégénie étonnante et opaque. par Jean-Marc Lalanne photo Alexandre Guirkinger pour Les Inrockuptibles

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e cinéma de François Ozon aime les débutantes. Hier, l’éclatante révélation de Ludivine Sagnier (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, 8femmes, Swimming Pool). Aujourd’hui, celle de Marine Vacth. On ne sait pas encore si la seconde cheminera, à la fois dans le cinéma d’Ozon puis dans l’ensemble du cinéma français, comme la première, mais ce qui est certain, c’est que son interprétation d’Isabelle, la jeune bourgeoise prostituée occasionnelle de Jeune & jolie, va laisser une empreinte durable. Avant, on avait pu la remarquer (ou pas) dans des films de Cédric Klapisch (Ma part du gâteau, 2011) ou Alexandre Arcady (Ce que le jour doit à la nuit, 2012). Le premier était arrivé à elle par l’entremise de son agence de mannequinat, puisque depuis l’âge de 15ans, où une chasseuse de têtes la repéra dans une boutique de fringues, la jeune fille pose pour des images de mode. “Ado, j’ai eu plein d’envies différentes: devenir archéologue, écrivain, œnologue, pilote de chasse… Mais sans jamais faire quoi que ce soit pour concrétiser ces rêveries. En revanche, je n’avais jamais fantasmé l’univers de la mode, jamais voulu devenir mannequin ou actrice… Les choses se sont produites sans que je les ambitionne.” Sur le film de Cédric Klapisch néanmoins, elle dit avoir découvert un plaisir nouveau, celui de dire un texte, de jouer, plus fort que l’inconfort et le trac qu’éprouve cette jeune fille timide. Elle se présente aux essais de Jeune & jolie, pour lequel François Ozon avait déjà rencontré beaucoup de jeunes filles. “Pour les essais, j’avais choisi une scène dans un commissariat de police avec une femme flic, raconte le cinéaste. Beaucoup de jeunes comédiennes étaient très justes. Cela donnait une scène très naturaliste. J’avais l’impression de voir Polisse de Maïwenn. Mais quand Marine est arrivée, il s’est joué autre chose. C’est lié

à une sorte de présence/absence… Elle est toujours juste dans le jeu, sans être complètement là. Cette retenue, ce petit plus d’opacité décalait la scène du naturaliste et m’a permis d’ajuster ma mise en scène, d’épurer le scénario de tout ce qu’il comportait d’explicatif.” Pourquoi Isabelle, 16ans, au lendemain de sa première expérience sexuelle, décide-t-elle d’enchaîner les passes dans les hôtels de luxe ? Le film se penche sur l’énigme sans y apporter de résolution. “Moi non plus je ne sais pas”, dit Marine, lorsqu’on lui demande si elle n’a pas été tentée, même seulement pour elle, de remplir les blancs laissés par le scénario. “Parfois, j’essayais de me raconter pourquoi elle faisait ça, mais ça me paraissait factice. J’ai même voulu rencontrer les flics que François avait rencontrés en écrivant le film. Mais ces informations, les liens sociologiques à cette réalité, ne m’ont pas vraiment aidée à construire le personnage. Peut-être fait-elle ça simplement, pour avoir quelque chose qui lui appartienne en propre, que personne ne partage.” A l’opposé de la sociologie, il y a l’ascendance cinématographique du thème de Jeune & jolie, et en premier lieu Belle de jour –le plan qui a servi à l’affiche du film, où Marine, couchée sur un lit, s’appuie sur ses coudes, est même le décalque d’un plan fameux du film de Buñuel. “Lorsque j’ai rencontré pour la première fois François, il m’a effectivement demandé si j’avais vu Belle de jour. C’était le cas. Mais nous n’en avons pas reparlé ensuite. Je crois qu’en dehors du thème de la prostitution occasionnelle il n’y a pas beaucoup de rapport entre les deux films. Celui de Buñuel est vraiment dans la représentation d’un fantasme, celui du personnage, celui du spectateur… Jeune & jolie ne travaille pas vraiment cet espace du fantasme.” Dans le rôle de l’épouse d’un client, qui intervient dans les dernières scènes, Ozon révèle néanmoins avoir songé à Catherine Deneuve, mais “c’était trop téléphoné,

et je ne suis pas sûr que Catherine, qui avait déjà refusé de jouer dans une suite de Belle de jour par Oliveira, aurait accepté”. C’est donc Charlotte Rampling qui apparaît, teinte en blonde. Marine Vacth, qui déclare par ailleurs ne jamais avoir été fan de quiconque, aimer des œuvres mais ne pas idolâtrer ceux qui les font, dit de belles choses sur l’actrice anglaise: “Déjà, j’adore Portier de nuit, autant pour elle que pour Dirk Bogarde. Et j’avais vu un beau documentaire, The Look (lire aussi p. 97), où l’actrice se raconte à travers des rencontres qui ont compté dans sa vie. Elle dit beaucoup de choses sur elle, et pourtant donne le sentiment de ne jamais vraiment se dévoiler. Ça reste très raconté, il y a toujours une distance juste. Quand je pense à elle, je la vois comme une femme, qui me touche vraiment, avant de l’envisager comme actrice. Tourner avec elle a été un moment merveilleux et très doux.” Un an s’est écoulé depuis le tournage de Jeune & jolie et Marine Vacth n’a pas enchaîné sur d’autres films. “Je n’ai pas besoin de tourner. Le mannequinat m’a permis de devenir indépendante financièrement. Et puis je fais d’autres choses, pour moi, qui comptent beaucoup, des trucs manuels, je fabrique des choses, ajoute-t-elle sans vouloir s’étendre. Pour tourner à nouveau, j’ai besoin d’une rencontre, avec un cinéaste, un personnage, une histoire dans laquelle je crois…” Première rencontre, c’est justement le titre d’une des quatre chansons de Françoise Hardy qui structurent Jeune & jolie. “Je restais seule dans ma chambre/Rêvant de celui qui viendrait/Me sortir un jour de l’enfance/ Et avec qui je partirais, loin…” Avec son interloquante photogénie, cette intériorité très forte qui résiste au désir tout cinématographique de l’explorer, Marine Vacth semble en effet déjà partie pour aller très loin. Jeune & jolie de François Ozon, avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot en salle le 21 août. Lire critique p. 62

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“pour tourner à nouveau, j’ai besoin d’une rencontre, avec un cinéaste, un personnage, une histoire dans laquelle je crois”

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trailer est-il ? Abdellatif Kechiche, Lars von Trier, les frères Coen, Jia Zhangke… 15films à ne pas manquer dans les prochains mois. par Romain Blondeau, Jacky Goldberg, Olivier Joyard, Théo Ribeton, Léo Soesanto

C’est la fin de Seth Rogen et Evan Goldberg avec James Franco, Jonah Hill, Seth Rogen Fin de party Quand les scénaristes (et, pour l’un d’entre eux, l’interprète) de SuperGrave, Délire Express ou The Green Hornet se décident à passer derrière la caméra, ils voient les choses en grand. Seth Rogen et Evan Goldberg signent ainsi C’est la fin, comédie (évidemment) dans laquelle tous leurs potes –c’est-à-dire à peu près tous les acteurs nés de la côte d’Apatow: Jay Baruchel, Michael Cera, Craig Robinson, Christopher Mintz-Plasse, Danny McBride, James Franco… – se font surprendre par l’Apocalypse alors qu’ils festoient tranquillement sur les collines d’Hollywood. Surprise: Rihanna et Emma Watson sont aussi de la partyyyyyyy. J. G. en salle le 9 octobre 36 les inrockuptibles 21.08.2013

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rentrée cinéma

Seth Rogen, Jay Baruchel, James Franco et Craig Robinson 21.08.2013 les inrockuptibles 37

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rentrée cinéma Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese avec Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Matthew McConaughey La loi des traders Le Scorsese nouveau cultive un étrange parallélisme avec Les Affranchis, même si l’antihéros Jordan Belfort (Leonardo DiCaprio) apparaît toutefois bien loin du remords contrit du gangster Henry Hill. Si Le Loup de Wall Street se veut à la Bourse ce que son grand frère fut à la Mafia, il semble écrire un chapitre moderne où les golden boys infréquentables de l’Amérique, plus du tout hors la loi, abandonnent tout repentir pour se voir portés à incandescence par leurs propres vices. T. R. en salle le 25 décembre Margot Robbie et Leonardo DiCaprio

Inside Llewyn Davis d’Ethan et Joel Coen avec Oscar Isaac, Justin Timberlake, Carey Mulligan That’s all folk Grand Prix au dernier Festival de Cannes, le film des Coen Bros. décline à nouveau leur mélomanie et leur affection pour les losers bibliques et tragicomiques. Cette tranche de vie d’un chanteur folk, doué mais dans la dèche, à NewYork en 1961, arrive précédée de l’aura flatteuse d’une fausse œuvre mineure dans la filmo des frangins –à la A Serious Man. Avant même sa sortie, la presse US l’adoube comme favori aux oscars, pour la bande-son comme pour le bien nommé Oscar Isaac dans le rôle-titre. L. S. en salle le 6 novembre

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Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh

Dan Aykroyd et Michael Douglas

avec Michael Douglas, Matt Damon, Dan Aykroyd Le kitsch, c’est chic Après Effets secondaires, Steven Soderbergh revient avec un nouveau dernier film (promis) dévoilé à Cannes en mai et sur HBO dans la foulée. A la fois sec et flamboyant, Ma vie avec Liberace raconte l’histoire d’amour tumultueuse entre Liberace, kitschissime pianiste de variété des années disco, interprété par un Michael Douglas on fire, et un jeune ingénu auquel Matt Damon prête la douceur de ses traits. Ou comment réussir sa sortie (?). J. G. en salle le 18 septembre

La Bataille de Solférino de Justine Triet avec Laetitia Dosch, Vincent Macaigne Bataille remportée Repérée dans le circuit festivalier pour ses courts métrages (dont un Vilaine fille, mauvais garçon multiprimé), Justine Triet réussit le passage au long avec La Bataille de Solférino. Un film hyper ambitieux, tourné dans les rues de Paris au second tour de l’élection présidentielle, qui raconte une journée dans la vie d’une journaliste (Laetitia Dosch) confrontée à ses obligations professionnelles et à la violence de son ex (Vincent Macaigne). Croisant fiction et documentaire, bouleversem*nts intimes et politiques, Justine Triet administre un salutaire update à l’école du naturalisme français. R. B. en salle le 18 septembre

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rentrée cinéma Sandra Bullock

Gravity d’Alfonso Cuarón avec Sandra Bullock, George Clooney Space mountain Conçu presque entièrement en images de synthèse, composé de 156plans (dont beaucoup de plansséquences), converti en 3D en postproduction, Gravity s’impose comme l’un des plus hauts défis technologiques du moment –un nouvel Avatar, ânonnent les geeks depuis quelques mois. Mais c’est aussi et surtout le nouveau film d’Alfonso Cuarón, auteur du superbe Les Fils de l’homme, qui poursuit son sillon SF avec ce survival immersif racontant la lutte de deux astronautes, un homme et une femme (George Clooney et Sandra Bullock), perdus dans l’espace. Où personne ne les entendra crier. R. B. en salle le 23 octobre

Nicolas Maury

Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez avec Kate Moran, Niels Schneider, Nicolas Maury Nuit libertine. Superbe révélation, Les Rencontres d’après minuit a reconquis le romantisme dissolu du cinéma français. Breakfast Club adulte et buñuélien, le premier long métrage de Yann Gonzalez catapulte à huis clos sept corps, certains virils (Eric Cantona), éthérés (Kate Moran), androgynes (Nicolas Maury) ou pulpeux (Julie Brémond), et les mène à la rencontre du drame bourgeois, de l’onirisme et d’une passion tragique, dans une variation libertine d’une éternelle poésie. T. R. en salle le 13 novembre

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The Canyons de Paul Schrader avec Lindsay Lohan, James Deen, Gus Van Sant

Lindsay Lohan et James Deen

Cinema inferno Des plans serre-cœur de cinémas à l’abandon scandent The Canyons, qui réunit Paul Schrader (réalisateur), Bret Easton Ellis (scénario) ainsi que le couple d’acteurs le plus étonnant du moment: l’étalon subtil duX, James Deen, très bon aussi quand il parle, et la ressuscitée Lindsay Lohan, en plein trip Liz Taylor fin des années 60. Une épopée glamour et triste dans les ruines de toutes les illusions. L’ovni cinéphilique fascinant de 2013. O. J. en salle prochainement 21.08.2013 les inrockuptibles 41

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rentrée cinéma Sophie Kennedy Clark et Stacy Martin

Nymphomaniac de Lars von Trier avec Charlotte Gainsbourg, Stacy Martin, Stellan Skarsgård Sex is poison Un patron libidineux (Shia LaBeouf) coince dans l’ascenseur une girl next door d’un autre temps (l’inconnue Stacy Martin). D’après les appetizers mensuels délivrés sur le net, Nymphomaniac est un p*rno étrangement daté qui revisite en flash-backs la trajectoire d’un personnage joué par Charlotte Gainsbourg. Le film se livre ainsi à un strip-tease aguicheur: il se déshabille, se rhabille, et dresse peu à peu les contours de sa captivante toxicité charnelle, coloration venimeuse de la fresque sexuelle2013 entamée par L’Inconnu du lac et La Vie d’Adèle. T. R. en salle le 25 décembre

Amy Adams, Bradley Cooper, Jeremy Renner, Christian Bale et Jennifer Lawrence

American Hustle de David O. Russell avec Jennifer Lawrence, Bradley Cooper, Robert De Niro Back to the seventies Couronné par Christian Bale, le trio d’Happiness Therapy (Jennifer Lawrence, Robert De Niro, Bradley Cooper) reste fidèle à David O.Russell, qui met le FBI en pattes d’eph pour une chasse aux politicards corrompus. Sans inhibition de bon goût, American Hustle pulvérise la froide tension du thriller politique dans les extravagances kitsch des années70 et laisse entrevoir un blockbuster rock’n’roll, ludique et haletant. T. R. en salle le 15 janvier 42 les inrockuptibles 21.08.2013

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Blue Jasmine de Woody Allen

Cate Blanchett

avec Cate Blanchett, Alec Baldwin Woody a le blues Le bientôt octogénaire Woody Allen quitte les rives de l’Europe pour regagner les Etats-Unis dans son dernier opus, Blue Jasmine, dont la sortie française est précédée d’un très beau succès dans les sallesUS. Ce film étrange, âpre et cruel, dresse le portrait d’une Amérique en crise (morale, financière), par le prisme d’une femme, la Jasmine du titre (Cate Blanchett), confrontée au drame du déclassem*nt après son divorce d’avec un mari boursicoteur inspiré de Madoff. Dans la lignée noire de Match Point: du grand Woody. R. B. en salle le 25 septembre

Marion Cotillard

The Immigrant de James Gray avec Joaquin Phoenix, Marion Cotillard, Jeremy Renner Les nuances de Gray Cinq ans après Two Lovers, The Immigrant est le premier film d’époque (1921) de James Gray, mais toujours sis dans son New York natal. Marion Cotillard y est l’immigrante du titre, une Polonaise fraîchement débarquée et prise entre deux hommes, son proxénète (Joaquin Phoenix) et un illusionniste (Jeremy Renner). La belle matière pour Gray et son goût très sûr pour le mélodrame, le clair-obscur (pour la lumière comme pour la morale) et son modèle Francis Ford Coppola, période Le Parrain2. The Immigrant installe à nouveau Gray comme exception culturelle: très attendu en France mais un peu ignoré aux Etats-Unis. L. S. en salle le 27 novembre 21.08.2013 les inrockuptibles 43

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A Touch of Sin de Jia Zhangke avec Jiang Wu, Wang Baoqiang, Tao Zhao Chaos social Œuvre chorale prise dans le feu d’une poignée de destins des classes dominées (un ouvrier en cavale, une hôtesse abusée par un client…), A Touch of Sin n’est pas dépourvu de colère. Jia Zhangke, le plus naturaliste des cinéastes chinois, emmène son art en eaux agitées. A son réalisme cinglant vient s’apposer une brutalité kitanienne, intimement liée à la violence sociétale de l’empire du Milieu. T. R. en salle le 11 décembre

Snowpiercer – Le transperceneige de Bong Joon-ho avec Chris Evans, Octavia Spencer, Tilda Swinton Sur les rails Motif éminemment cinématographique, le train est l’unique décor du Snowpiercer, où une immense machine conduit éternellement les derniers survivants de l’espèce dans une terre figée par la glace. Bong Joon-ho adapte un chef-d’œuvre de la bande dessinée, pétri de tensions sociales et d’affleurements fantastiques, dont il devrait faire ses choux gras. T. R. en salle le 30 octobre John Hurt

Wu Jiang

La Vie d’Adèle – Chapitres 1 & 2 d’Abdellatif Kechiche avec Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Salim Kechiouche Roman d’amour Dans toute sa majesté, LaVie d’Adèle déploie la passion amoureuse d’Emma (Léa Seydoux) et Adèle (le miracle Adèle Exarchopoulos), dont l’immense envergure porte le chef-d’œuvre de Kechiche dans la parenté des grands romans du XIXe, de Flaubert à Stendhal. Fresque aussi charnelle que sociale, illuminée par ses actrices et embrasée par le regard brûlant de son metteur en scène, la Palme d’Or2013 dessine avec éclat les contours d’un grand cinéma français contemporain. T. R. en salle le 9 octobre

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rentrée cinéma

Adèle Exarchopoulos

et aussi… D’autres sorties attendues se sont distinguées dans les sélections cannoises parallèles, signées Serge Bozon (l’excentrique Tip Top, le 11/9), James Franco (As I Lay Dying, adapté de Faulkner, le 9/10), auxquels s’ajoutent Les Amants du Texas (18/9), Suzanne (18/12)… Les grands auteurs s’illustrent avec Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-Eda, 25/12), La Vénus à la fourrure (Roman Polanski, 13/11), Moi et toi (Bernardo Bertolucci, 18/9) et déjà un nouveau Hong Sang-soo (Haewon et les hommes, 16/10). La France réserve ses pépites comiques (Les garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, 20/11), douces-amères (Tirez la langue, mademoiselle d’Axelle Ropert, 4/9), légères (Artémis, cœur d’artichaut d’Hubert Viel, 25/9) ou radicales (Leviathan de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, 28/8). Enfin, on attend avec intérêt les remakes osés d’Old Boy par Spike Lee, mais aussi de Carrie ; tandis que les blockbusters s’offrent un retour old school avec White House down (Roland Emmerich, 4/9) et No Pain No Gain (Michael Bay, 11/9). 21.08.2013 les inrockuptibles 45

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co*cktail party Sur un premier album où secroisent la dance et les guitares, l’electro et le surf, lesHappy Mondays et les Beach Boys, le duo australien Jagwar Ma découvre la recette du bonheur: ilsuffit de tout mélanger et de secouer fort. par Thomas Burgel photo Geoffroy de Boismenu pour Les Inrockuptibles

O

n a vu des yeux briller d’envie, des sourires irradier le plaisir. On a entendu, cinquantefois, le nom de JagwarMa, prononcé par des amis aux goûts sûrs les ayant vus sur scène –en première partie deFoals notamment–, soufflé par unerumeur plus solide que la brise passagère de la hype, ou même par Noel Gallagher, pourtant avare en compliments. On a fini par découvrir les deux de Sydney via leur premier album, Howlin. Une écoute au casque. Fort. Puis un peu plus fort. Puis très trèsfort, ahuri, épaté, ébaudi. Dès les premières mesures, on était pris d’un accès tout à fait imprévu d’hédonisme solitaire, le corps se mettait à vriller en hula hoops cinoques: on

n’avait rien entendu d’aussi sexy, malin, efficace, moite, direct, indirect, excitant, cool, pop, contrasté, faussem*nt putassier mais furieusem*nt intelligent depuis des lustres. C’était sans doute trop malin, on ne comprenait pas tout. De Sydney, les garçons ? Ilsauraient tout autant pu être californiens. Ou mancuniens. Ou new-yorkais. Ou de Detroit, ou de Rennes, ou de la planète Mars. “Je ne sais pas si on a vraiment étéinfluencés par notre environnement direct, par l’Australie, confirme JonoMa, multi-instrumentiste. Au contraire: lamusique est souvent un moyen de s’échapper de l’endroit où tu vis. Quand onfait de la musique dans une chambre avec quelqu’un, cette musique est plus liée à la musique que tu as découverte etécoutée tout au long de ta vie qu’aux plages où tu peux passer tes week-ends.”

L’équation Jagwar Ma est à la fois très simple et diablement compliquée: il y a tout, absolument tout, sur Howlin. Lesmédias accusent parfois le duo de se contenter de singer la scène Madchester ou baggy (Happy Mondays, The Stone Roses, The Charlatans…). L’ascendance est certes plus qu’évidente. Evidente mais loin, très loin d’être unique. L’album des Australiens va beaucoup plus loin puisqu’il va puiser partout, dans chaque recoin de la planète, à chaque époque. Un condensé formidable de cinquanteans de musique, sur cinqcontinents. “Notre musique neserésume pas du tout à Madchester. Nos influences sont bien plus larges etvariées que ça, elles n’ont pas vraiment de limites. Elles sont ce qu’on aime et cequ’on a aimé, c’est tout. Je dirais qu’il ya trois types d’atmosphère sur Howlin: lesmorceaux très électroniques, purement

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“je ne sais pas si on a vraiment été influencés par l’Australie. Aucontraire: la musique est souvent un moyen de s’échapper de l’endroit où tu vis” Jono Ma

GabrielW interfield et Jono Ma, alias Jagwar Ma

dance ; des chansons plus organiques, influencées par la northern soul, et des titres plus sensibles, plus cinématiques.” L’autre secret du plaisir vient de la manière, naturelle, dont s’effectue ce grand mix: le mélange, Jagwar Ma lefait à sa façon, sans forcer, sans artifice. Le filtre de la distance, sans doute, celui qui a permis àla lointaine Australie de multiplier ces dernières années les groupes intéressants: Midnight Juggernauts, Empire Of TheSun, Tame Impala…. Et lepère d’entre tous, The Avalanches, dont la technique de collages infinis est revendiquée par Jagwar Ma. “La distance avec les Etats-Unis ou l’Europe crée forcément une altérité. Il y a quelques gros festivals dans lesquels on peut voir les groupes connus, mais pour cequi est des groupes plus petit*, indépendants, il est plus rare de les voir chez nous. C’est aussi

plus compliqué pour nous de voyager. Et j’imagine que, par la force des choses, ça pousse lesgroupes d’ici à faire les choses à leur manière, avec des influences un peu moins directes. On peut évidemment toutvoir sur YouTube, tout entendre surinternet, mais peut-être faisons-nous quand même les choses avec une plus grande part de fantasme.” Et sur Howlin, les fantasmes ont dela gueule. Ouplutôt des gueules. Endansant frénétiquement mais endécouvrant, à chaque écoute, derrièreles principaux attributs detubes quel’on promet sans grand risque auxplatines, d’innombrables idées deproduction, chausse-trapes etfaux-semblants, on plonge ainsi dansunkaléidoscope pantagruélique oùles humeurs, univers, époques et sons se croisent en tous sens et àtout

instant, sans pourtant sombrer dans ungloubi-boulga indigeste. What Love, introduction gigantesque qui rend déjà gaga, la mélodie imparable de l’énorme Uncertainty, les primesautières et pop That Loneliness ou Come Save Me, la tribale Exercise, la house obsédante de Four: on apercevra fugacement les visages de Primal Scream, des Happy Mondays, des Stone Roses, certes. Maisaussi ceux des Beach Boys, dugénial électronicien Matthew Dear, despsychédéliques Tame Impala, desBeatles, des sorciers Yacht, dePanda Bear. On y croise des dizaines de visages, et un très durable sourire s’accroche au nôtre. Avec Howlin, Jagwar Ma a trouvé la recette du bonheur. album Howlin (Marathon Artists/Pias) concert le 9 septembre à Paris (Flèche d’Or) www.facebook.com/JagwarMa 21.08.2013 les inrockuptibles 47

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les écrivains font la révolution Insurrection de sans-papiers, émeutes en banlieue, tentation de la radicalité… Tristan Garcia, Loïc Merle, Yannick Haenel et Philippe Vasset font souffler un vent de révolte sur la fiction et la rentrée littéraire. Explosif et salutaire. par Elisabeth Philippe illustration Cruschiform pour Les Inrockuptibles

L

’émeute, au XXIesiècle, est devenue ledestin du monde.” Ces mots extraits des Renards pâles, le nouveau roman de Yannick Haenel, sonnent comme un appel. Des mots comme des étincelles pour allumer la mèche. Destin du monde, l’émeute est partout. Dans les pays arabes, où les peuples luttent pour conquérir la démocratie ; chez les indignés, de Madrid à New York ; en Grèce, où l’on manifeste contre les diktats d’une troïka libérale ; à Trappes, secouée, fin juillet, par des affrontements après un contrôle policier sur une femme portant le voile intégral. “Vous pensez qu’on se révolte pour un contrôle qui tourne mal ? C’est toute l’atmosphère de Trappes qui nous donne des envies de révolution”, lançait alors un habitant de cette ville de la banlieue parisienne à un journaliste du Monde. Un désir latent de changement, de se soulever contre un trop-plein d’injustices, contre un système qui exclut toujours plus. A l’écoute du monde, de ses palpitations et de ses pulsions, la littérature capte à son tour cette énergie insurrectionnelle. L’émeute est aussi devenue son horizon. Au point que cette thématique domine la rentrée littéraire. Quatreécrivains ont tenté de transcrire le sentiment diffus mais profond de révolte. Frontalement, dans le cas de Yannick Haenel et Loïc Merle. De façon plus détournée pour Tristan Garcia et Philippe Vasset. Tous font le constat d’un mélange de dépit et de frustration qui ensem*nce la colère. La politique ne promet plus rien ou presque ;

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Melania Avanzato

Renaud Monfourny

“je voulais comprendre ce que c’était qu’une émeute, je voulais savoir ce qu’on pourrait en faire, éventuellement, après” Loïc Merle

les idéaux et les utopies ne font plus illusion. Au tour de la littérature de tenter de renverser l’ordre établi, de le faire exploser, alors que tous les autres discours sont morts, frappés d’impuissance et d’inanité. Avec Les Renards pâles, Yannick Haenel signe le texte le plus ouvertement engagé. Manifeste poétique et politique, nourri de références à la Commune, Rousseau, Marx mais aussi Beckett, son roman met en scène Jean Deichel, personnage en rupture que l’on trouvait déjà dans Cercle, paru en 2007. Jean Deichel ne travaille plus, il vit dans une voiture et erre dans Paris. Au gré de ses déambulations, il rencontre le groupe des Renards pâles, communauté anarchiste et masquée (rappelant les Anonymous) qui lutte aux côtés des sans-papiers. Peu à peu, Deichel va rejoindre leur combat. Certains reprocheront peut-être à Yannick Haenel un idéalisme naïf, mais il y a quelque chose de très salutaire dans cette réappropriation du politique par la littérature, dans cet écho lyrique et psalmodié à un désir inassouvi de radicalité. “Notre époque est celle de la décomposition politique, constate Yannick Haenel. Tous les modèles politiques s’effondrent, avalés par les marchés financiers. Les clivages se durcissent, et il n’est pas difficile de pronostiquer une montée considérable des idées d’extrême droite, notamment en France. J’essaie d’ouvrir, avec ce roman, une voie exactement opposée: celle d’une utopie insurrectionnelle des sans-papiers, des sans-abri, des sans-emploi. Et si quelque chose –un incident, une bavure policière de plus, une mort– fédérait soudain, comme je le raconte, la communauté des ‘sans’ ? Est-ce qu’alors le vieux mot de ‘révolution’ –c’est-à-dire le retournement complet des rapports de force– ne serait pas de nouveau remis en jeu, d’une manière n ouvelle ? Les Renards pâles est un défi à cette France qui s’arrange très bien de l’invivable et maintient chacun dans une sorte d’anesthésie dépressive. La première partie de mon roman se passe sous Sarkozy, la deuxième sous Hollande. C’est-à-dire d’abord à l’époque du délire policier (celle du record de gardes à vue en Europe et de l’assimilation des sans-papiers à des hors-la-loi) puis à l’époque actuelle, qui est celle de la gestion des intérêts sur fond d’impuissance désolée.” Ce sentiment d’impuissance dont parle Haenel, LoïcMerle l’a intimement éprouvé. Ou plus exactement, il a fait l’expérience de la difficulté à agir. C’est elle qui est à l’origine de l’écriture de L’Esprit de l’ivresse, son premier roman. “Je sentais mes années d’étudiant

“j’essaie d’ouvrir la voie d’une utopie insurrectionnelle des sans-papiers, des sans-abri, des sans-emploi” Yannick Haenel

et de militant –pas très sérieux– arriver à leur terme, et je voulais me trouver une ligne de conduite pour les années à venir, tout en rendant hommage à toutes celles et tous ceux qui continuaient à se battre, pour les sans-papiers, contre l’atmosphère de plus en plus pesante, nous explique Loïc Merle. Pour moi, tout ça, c’était fini, j’étais déjà lassé de ne rien voir changer, mais comme je continuais à être en colère –plutôt que révolté–, je voulais quand même contribuer. Je me suis convaincu qu’écrire, c’était faire quelque chose, pas grand-chose, mais tout de même quelque chose. Témoigner, peut-être, de certaines choses que j’avais vues et qui n’intéressaient personne. Et puis je me suis retrouvé enseignant au Vald’Argent, une cité au nord d’Argenteuil, notamment pendant les émeutes de 2005, et là toute l’idée du roman est venue, avec le sens du titre: jevoulais comprendre ce que c’était qu’une émeute, je voulais savoir ce qu’on pourrait en faire, éventuellement, après.” En2005, c’est la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents de Clichy-sous-Bois électrocutés dans un transformateur EDF où ils s’étaient réfugiés pour échapper à la police, qui avait déclenché les émeutes. Dans L’Esprit de l’ivresse, c’est la mort de Youssef Chalaoui, un vieil habitant de la cité des Iris, qui va allumer la “Grande Révolte”, une marche de la banlieue sur Paris qui sèmera le chaos et mettra un temps le pouvoir en fuite. Tout ce roman à l’écriture incandescente ne cesse de monter en puissance, clameur qui enfle et gonfle jusqu’au point de rupture. Comme Haenel, Loïc Merle voulait donner une voix à ceux qui sont privés de parole: “L’émeute, cet événement si particulier, ne peut sans doute venir que de certains endroits, très spécifiques, que j’hésite à appeler des ‘banlieues’ puisque le terme charrie tant de contresens, et puis des banlieues, il y en a mille différentes, poursuit le romancier. Disons des lieux où les cris ne sont jamais entendus, semblent ne servir à rien, comme s’ils étaient recouverts d’un dôme de verre. Ni les petites plaintes, ni les plus longs hurlements. Ce ne sont pas, à mon avis, des endroits désertés par Dieu et l’Etat, mais ce sont des lieux qui font peur et qu’on met à part car on y rencontre ce qui n’existe pas ailleurs, ou peu: la solidarité. Et de la violence très directe, mais sans arrière-pensées.” Les personnages de Faber – Le destructeur, nouveau roman de Tristan Garcia, sont, eux, issus de la classe moyenne. Faber, Madeleine et Basile se connaissent

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depuis l’école primaire. Tous trois vivent dans une petite ville de province, Mornay, où il ne se passe rien, où tout espoir de mouvement ou de changement semble mort-né. Charismatique et précoce, Faber est un demi-dieu pour ses amis. Il les sauve de leurs petit* bourreaux de cour de récré, il a toujours un temps d’avance sur leurs découvertes littéraires ou musicales, et il s’impose, au lycée, comme le leader des grèves en1995. Peu à peu, Faber se radicalise, jusqu’à se perdre dans l’autonomie politique et se marginaliser totalement. On pense un temps à Julien Coupat, l’anarchoautonome de Tarnac, mais Tristan Garcia réfute cette comparaison: “Faber n’a rien à voir avec Julien Coupat, ou avec L’Insurrection qui vient et L’Appel. Je suppose simplement qu’il a lu Tiqqun (revue cofondée par Coupat –ndlr) et qu’il a gravité dans

le milieu ‘autonome’, ce qui est très vague, et d’ailleurs le terme n’est pas reconnu par ceux qu’il est supposé désigner. A l’adolescence, j’ai été attiré par la lecture des Lèvres nues (revue situationniste –ndlr), de Debord, puis de Negri, puis d’Agamben, et aussi de Mehdi Belhaj Kacem, d’EvidenZ et de Tiqqun, et j’ai connu des gens intéressés par l’idée qu’il fallait désormais tout interpréter en termes de guerre civile, de lignes de front, entre l’Empire et ce qui pouvait lui résister, des ‘singularités quelconques’. Mais je n’y ai jamais vraiment cru. J’imagine simplement que mon personnage fait partie de ceux qui ont voulu s’en convaincre.” Roman qui mélange le policier, le fantastique et la littérature jeunesse, Faber serait plutôt le livre de la Révolution impossible. Les toutes premières lignes donnent le ton: “Nous étions des enfants de la classe moyenne d’un pays moyen d’Occident, 21.08.2013 les inrockuptibles 51

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Christine Tamalet

Catherine Hélie

“sans être programmatique, sans dresser des barricades, on peut arriver à ouvrir des espaces totalement neufs” Philippe Vasset

deux générations après une guerre gagnée, une génération après une révolution ratée.” “Le livre retrace une part fantasmatique de ma vie intérieure, comme s’il s’agissait d’un personnage, ce qui me semblait un projet romanesque original –et en même temps l’essence du roman: faire la biographie non pas de soi, mais d’une idée qu’on porte en soi, développe Tristan Garcia. Faber et les autres personnages du roman incarnent divers idéaux et idées que j’ai eus, ou que j’ai vu d’autres avoir, à l’enfance et à l’adolescence.” A travers les destins de ses personnages, Tristan Garcia montre l’amertume des classes moyennes face aux promesses non tenues de réalisation de soi, anéanties par la crise. “Au mieux, chacun doit trouver un travail pour assurer sa survie sociale, note-t-il. Il me semble que c’est ce qui explique la frustration vague qui prend forme autour de nous, qui devient parfois violente. J’espère qu’elle restera entre les pages d’un roman, ou un peu partout dans notre champ culturel, et qu’elle n’en sortira pas.” Au contraire, Yannick Haenel rêve d’un passage des mots aux actes, il attend que des lecteurs fassent usage de son livre. “Ce que raconte Les Renards pâles, c’est le passage du ‘je’ au ‘nous’, de la solitude antipolitique à une nouvelle forme de communauté politique. Je ne dis pas que l’action collective n’existe plus, mais que ses formes occidentales sont périmées: elles se sont toutes écrasées contre l’Etat. Je mets en scène une politique des solitudes, un acte solitaire qui ouvre sur une communauté: c’est exactement comme ça que je vois la fiction, le processus par lequel on trouve un intervalle dans l’époque. De ce point de vue, la fiction est un art politique. L’insurrection contre l’identité que je décris, je la déduis des conditions actuelles, dont je tire les conséquences jusqu’à l’extrême. La littérature permet ce genre de proposition et d’anticipation” Le pouvoir de la fiction, sa force subversive, résiderait dans sa capacité à inventer de nouvelles formes d’expression de la révolte. Le livre de Philippe Vasset, La Conjuration, est celui qui va le plus loin dans ce sens. Comme Jean Deichel –le personnage d’Haenel–, le narrateur de La Conjuration dérive aux marges. Littéralement. Il sillonne les zones cachées de la banlieue parisienne, lieux invisibles sur les cartes qu’explorait déjà Philippe Vasset dans Un livre blanc. Un jour, il croise une ancienne connaissance, André, qui souhaite créer une entreprise un peu particulière: une secte.

“au mieux, chacun doit trouver un travail pour assurer sa survie sociale. C’est ce qui explique la frustration vague qui prend forme autour de nous” Tristan Garcia

Avec business plan et perspectives de bénéfice. André réquisitionne le narrateur pour qu’il lui écrive des “scénarios de rituels spectaculaires”. De Georges Bataille à la secte Moon, en passant par des enquêtes de terrain dans les clubs libertins, les recherches du narrateur l’entraînent vers des zones nouvelles. Avec ceux qui vont devenir les Conjurés –cadres en rupture de ban, informaticiens, intérimaires–, ils escaladent des immeubles, s’introduisent dans des appartements, pour jouir, au propre comme au figuré, d’un sentiment de transgression. Une révolte éphémère, légère et sensuelle contre les interdits et la marchandisation de l’espace. “Je n’écris pas vraiment des livres où il y a un espoir ou des lendemains qui chantent, souligne Philippe Vasset. Ce qui ne veut pas dire que ce sont des livres au ciel bas. Ce que j’exprime dans La Conjuration, c’est l’impression que la seule issue pour échapper à l’extension du domaine du capitalisme se joue aujourd’hui davantage au niveau personnel qu’au niveau collectif ; qu’elle se situe plus dans des détournements, dans des comportements ludiques, que dans quelque chose de sacrificiel. Je ne me sens pas du tout prescripteur. Je pars simplement d’un constat d’aliénation et je cherche des solutions très simples, très immédiates. Mon modèle, c’est plus l’enfant que le révolutionnaire. S’il fallait chercher une matrice au groupe dans La Conjuration, ce seraient moins les collectifs de sans-papiers ou les Anonymous que les gays qui se retrouvaient pour baiser dans les bois, cette communauté un peu obscure. Il y a un côté bal masqué dans ce livre. La Conjuration rend compte de la possibilité pour un collectif de créer une zone où les expériences sont différentes, avec la possibilité de créer son propre texte, sa propre langue. Sans être programmatique, sans dresser des barricades, on peut arriver à ouvrir des espaces totalement neufs, à voir autre chose, entendre autre chose.” C’est là la dimension révolutionnaire de la littérature, sa capacité, sans cesse renouvelée, à ouvrir et élargir le champ des possibles; à anticiper, peut-être, l’insurrection à venir. Les Renards pâles de Yannick Haenel (Gallimard, L’Infini), 192pages, 16,90€ L’Esprit de l’ivresse de Loïc Merle (Actes Sud), 288pages, 21,50€ Faber – Le destructeur de Tristan Garcia (Gallimard), 480pages, 21,50€ La Conjuration de Philippe Vasset (Fayard), 230pages, 17€

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fin des participations le 25 août

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trash baby star 6/6

Edward au cœur noir En 1991, Edward Furlong apparaissait en JohnConnor ado dans Terminator2, avant d’éblouir à nouveau en petit frère séraphique dans le premier film de JamesGray, Little Odessa. Mais la gueule d’ange des débuts sera vite submergée par sa face sombre. par Jean-Marc Lalanne

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n garçon très recherché: c’est ainsi qu’est apparu Edward Furlong dans le paysage du cinéma à l’aube des années90. Un redoutable robot protéiforme, fait de métal liquide et ayant provisoirement revêtu l’apparence d’un flic à Ray-Ban sillonne L. A. à la rencontre de tous les John Connor de la ville pour les occire dès qu’il les identifie. Il n’en reste plus qu’un mais c’est lui la target ultime. Celui-là même qui dans vingt ans prendra la tête d’une mutinerie des humains dans un monde totalitaire dominé par les robots. Pour l’heure, ce futur messie que le T-1000 a pour mission de tuer dans l’œuf n’est qu’un ado à problèmes, arraché à la tutelle de sa mère donnée pour folle, placé chez un couple de tuteurs qui a toutes les peines du monde à gérer les frasques de ce petit délinquant à mèche de 14ans. A l’heure où James Cameron l’engage dans Terminator2(1991), la vie d’Edward Furlong n’est pas sans correspondance avec celle de son double de fiction. Le jeune homme est né en1977 en Californie. Son père abandonne sa mère, Eleanor, peu de temps après sa naissance et la jeune femme connaît quelque

difficulté à élever son fiston. Encore enfant, Edward est recueilli par la sœur de sa mère, Nancy, et son compagnon Sean. Une adolescence ballotée donc, sans figure paternelle et éloignée de sa mère, comme John Connor. Edward a 13ans lorsqu’une fameuse directrice de casting, Mali Finn (qui joua un rôle-clé dans les carrières de Russell Crowe et de Leonardo DiCaprio), le repère dans un club d’ados de Pasadena et le convainc de passer des essais pour donner la réplique à l’acteur numéro un du box-office: Arnold Schwarzenegger. Le garçon adore le cinéma mais confesse n’avoir jamais envisagé d’en faire. Dès les essais, James Cameron est emballé. John Connor (qui n’apparaissait pas encore dans le premier volet de Terminator) a trouvé son premier visage (d’autres lui succèderont dans les sequels successifs de la franchise). Silhouette efflanquée, voûté comme dans une perpétuelle bouderie, regard d’aigle, Edward Furlong est remarquable dans Terminator2. Il confère à son personnage déraciné d’élu malgré lui une profondeur émotionnelle inouïe. Ado d’abord trop frêle pour porter le destin héroïque dont on le pare, le personnage se charge peu à peu d’une détermination et d’un courage hors pair. Furlong en incarne toutes les nuances,

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Dans Little Odessa de James Gray (1994), Edward Furlong est bouleversant en petit frère du tueur à gages Tim Roth 21.08.2013 les inrockuptibles 55

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trash baby star 6/6 Campagne pour Calvin Klein en 1996 : plus glamour, tu meurs

excellant aussi dans les scènes de pure comédie, où il métamorphose le gros Schwarzie en énorme toy soumis à toutes ses volontés (“Waow ! J’ai un Terminator pour moi tout seul ! Lève un pied ! Défonce ce type ! Non, non je déconne”). Le film opère la razzia de dollars attendue et le jeune Furlong, à 14ans, truste les récompenses (MTV Movie Award de la révélation de l’année, Saturn Award, Teen Choice Award…). Mais, alors qu’un nouvel horizon professionnel s’ouvre, déjà de lourds nuages biographiques viennent en obscurcir l’étendue. Seulement deux mois après la sortie du blockbuster de James Cameron, sa mère se rappelle à lui et se lance dans une procédure judiciaire contre sa sœur et son beau-frère pour récupérer la garde fructueuse du kid. L’oncle et la tante gagnent le procès fin1991 mais, à l’issue d’un recours, la mère parvient à ses fins deux ans plus tard, et se voit à nouveau confier la tutelle de son fils. Probablement lassé d’être ainsi brinquebalé, Edward amorce une nouvelle procédure afin d’obtenir son émancipation –à l’instar d’autres babystars millionnaires (Macaulay Culkin, Drew Barrymore…). Il l’obtient fin 93, alors qu’il vient d’avoir 16 ans. Entre-temps, le jeune comédien enchaîne les petit* films indés et joue le rôle principal dans une sérieB horrifique (Simetierre2). Les plus beaux jours de sa carrière sont encore devant lui. Il a 17ans lorsqu’un cinéaste de peu son aîné (24ans) le choisit pour son premier long métrage, situé dans le milieu de la mafia russe new-yorkaise: James Gray pour Little Odessa (1994). Il y incarne Reuben Shapira, le jeune frère

Avec Edward Norton dans American HistoryX de Tony Kaye (1998)

Avec Schwarzie dans Terminator2 de James Cameron, qui le révèle en 1991. Il a 14 ans

d’un tueur à gages, Tim Roth (de fait, dans leur physionomie émaciée et osseuse, une vraie proximité physique crédibilise cette fraternité de fiction). Il est une nouvelle fois éblouissant. Ce qui frappe dans la très belle filmographie nineties d’Eward Furlong, ce n’est pas seulement que le jeune acteur ait su aimanter des cinéastes aussi passionnants que James Cameron, James Gray, Barbet Schroeder ou John Waters ; c’est aussi la permanence de certaines figures, la récurrence de motifs dont le comédien semble porteur et qu’il tresse de film en film. Dans Little Odessa comme dans le pensum lourdaud American HistoryX (Tony Kaye, 1998), il est un jeune homme au chevet de sa mère malade, perpétuellement alitée, sujette à des convulsions sans fin ou des

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Dans Before and After de Barbet Schroeder (1996), il tue involontairement sa girlfriend et provoque une déchirure entre ses parents Liam Neeson et Meryl Streep

l’extraordinaire aptitude de l’acteur à émouvoir trouve son paroxysme dans Before and After de Schroeder quintes de toux terrassantes. Dans les deux films, le grand frère a déserté la cellule familiale, est banni des siens parce qu’il a sombré dans la criminalité (Tim Roth dans Little Odessa) ou la mouvance skinhead (Edward Norton, brute néonazie incarcérée pour meurtre dans American HistoryX). Dans les deux films encore, tout comme dans Terminator2, le jeune homme hérite de l’imaginaire belligérant de ses aînés, essaie d’endiguer la propagation d’une violence qui ne saurait que l’engloutir. De fait, à la fin de Little Odessa, il est abattu dans une fusillade, alors qu’il venait à la rescousse de son grand frère criminel. Et dans American HistoryX, victime à nouveau d’un effet de ricochet, il est flingué au lycée alors que son aîné Norton semblait revenu de ses délires de purification raciale. Durant toutes les années90, Edward Furlong a incarné idéalement la figure d’un petit frère, pris sous leurs ailes par des molosses bodybuildés ou/et surarmés, qui le plus souvent manquent à le protéger. Un agneau sacrifié tombant sous le coup d’une violence ancestrale, bras en croix, parfois même au ralenti, petit Christ aimant et souffrant. Barbet Schroeder pourtant a su voir le loup dans l’agneau. Dans ce mélodrame sublime et mésestimé qu’est Before and After (1996), Furlong est un jeune criminel qui tue involontairement sa petite amie en la molestant. Le film oppose ses deux parents, un père trop fusionnel (Liam Neeson), prêt à défendre son fils jusqu’au faux témoignage, et une mère soucieuse

d’incarner la loi (Meryl Streep), qui place au plus haut l’idée de justice (c’est une des belles idées du film d’inverser les valeurs traditionnellement attribuées aux deux fonctions parentales). L’extraordinaire aptitude de l’acteur à émouvoir, à se présenter comme l’être le plus tremblant et démuni du monde, trouve ici son paroxysme. Et il faut louer l’intuition de John Waters d’avoir su prendre à revers l’imagerie de calvaire que traînait le comédien pour faire de lui son alter ego en jeune homme dans le sémillant autoportrait Pecker(1998). Dans un registre d’hyperstylisation illuminée à la Johnny Depp, il y fait montre d’une légèreté inaccoutumée, qui aurait pu infléchir sa carrière, la conduire vers des eaux moins lourdes et sombres. Las, la filmo jusque-là assez exemplaire du comédien allait bientôt être mise à mal par l’éruption de forces autodestructrices puissantes. C’est en2001, à 24ans, alors qu’il sort d’une brève liaison avec la riche héritière Paris Hilton –pas encore promue star planétaire par la téléréalité et la presse people–, qu’il connaît ses premiers déboires avec la police. Durant l’été, on le ramasse inanimé dans son vomi dans une boîte de Sunset Boulevard. Hospitalisé d’urgence, il échappe de justesse à ce qui semble bien être une overdose d’héroïne. Dans les semaines qui suivent, il est arrêté pour conduite sans permis et ébriété. En2003, il est évincé du casting de Terminator3, dont il devait à nouveau partager la vedette avec Arnold Schwarzenegger, au profit de Nick Stahl, fraîchement découvert chez Larry Clark (Bully, 2001). Dans cette suite, on retrouvait John Connor 21.08.2013 les inrockuptibles 57

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Furlong est jugé encore trop junkie pour jouer un junkie dans Terminator 3

Gregory Pace/Sygma/Corbis

vingtenaire, sérieusem*nt endommagé par la consommation de toutes sortes d’expédients, mais Furlong fut jugé encore trop junkie pour jouer un junkie (cependant –malédiction du personnage ?–, Nick Stahl rencontrera par la suite lui aussi de graves problèmes d’addiction). En2004, la police intervient dans une boutique d’animaux du Kentucky car Furlong, tel un possédé, sort tous les homards de leur aquarium en prétendant leur rendre la liberté. Ce qui lui vaudra la vindicte des associations de défense du droit animalier. 2006 annonce une accalmie. Il épouse la comédienne Rachael Bella et ils ont ensemble un fils, Ethan. En2009, le couple divorce. L’ex-épouse obtiendra plus tard que Furlong soit relevé de ses devoirs parentaux, après que leur fils, à l’âge de 6ans, a été déclaré positif à un contrôle de cocaïne alors qu’il était sous la responsabilité de son père.

Frederick M. Brown/Getty Images/AFP

En compagnie de sa petite amie (encore inconnue) de l’époque, Paris Hilton, en septembre 2000. Ci-dessous: le 1er juillet 2013, au tribunal. Il accusé d’avoir agressé une ex-girlfriend

Pendant toute la décennie2000, la carrière du comédien ne s’interrompt pas mais péricl*te. Beaucoup de ses films ne connaissent plus de distribution internationale, certains sortent directement enDVD. Empâté, le regard alourdi par de gigantesques valises, il promène son désarroi dans des sériesZ de plus en plus improbables, allant même jusqu’à incarner le roi des zombies (The Zombie King, 2012) ou figurer dans la dernière production d’Uwe Boll (Assault on Wall Street, 2013), cinéaste régulièrement cité, par ceux que ce type de classem*nt amuse, comme “le plus mauvais au monde” (multiples Razzie Awards à la clé). Tout juste l’entrevoit-on, le temps d’un cameo ironique (c’est-à-dire dans le rôle d’un dealer), dans The Green Hornet de Michel Gondry (2011). Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes. Le1erjuillet dernier, il était entendu par la Cour supérieure de Los Angeles pour violences conjugales à l’encontre d’une de ses récentes ex-girlfriends et enfreinte à l’injonction d’éloignement qui lui interdisait d’entrer dans son domicile. Il s’agissait de sa troisième arrestation en quelques mois. En1991, tandis que le bon Terminator s’enfonçait irrévocablement dans le métal en fusion qui allait le dissoudre, il le saluait avec tristesse en maugréant entre ses dents: “Hasta la vista, baby.”

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Splashnews/KCS Presse

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Fedora de Billy Wilder Hantée par le vieillissem*nt et la gloire perdue, une œuvre puissante de l’auteur de Sunset Boulevard qui entre en résonance avec le Nouvel Hollywood des seventies.

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u large de Corfou, sur une petite île compliquée d’accès, se tient une propriété imprenable. Car, derrière les grillages et les barricades, derrière la protection supplémentaire de ses gants, lunettes noires, voiles et grands chapeaux, ondoie telle une algue des grands fonds, à peine aperçue entre sa terrasse et son balcon, la grande Fedora. Fedora est une immense star hollywoodienne, dont la carrière court des années30 au début des années60 et qui choisit de l’interrompre, encore au faîte de sa gloire et de sa beauté, pour se retirer du monde dans sa forteresse grecque. Fedora est aussi l’avant-dernière réalisation de Billy Wilder, déjà septuagénaire, un film éblouissant, sans doute le plus fou et lyrique d’un cinéaste

généralement trop lucide et sarcastique pour y céder tout à fait. Pour pénétrer la forteresse Fedora, plusieurs films antérieurs peuvent servir de sésame. Le premier, le plus évident, mais pas loin d’être une fausse clé, c’est Sunset Boulevard. William Holden, à nouveau dépositaire de la narration en voix off, n’y est plus un jeune scénariste désargenté mais un producteur indé à la ramasse qui essaie de se refaire. Wilder le confronte une fois de plus à une star de cinéma mais inverse la dramaturgie de son hit des années50. Dans Sunset Boulevard, toute la difficulté était de sortir de l’antre de Norma Desmond (le héros n’en sortira que les pieds devant, tout imbibé d’eau et de chlore). Dans Fedora, le plus périlleux est d’y entrer. Dans Sunset Boulevard, c’était la vieille idole qui rêvait d’un retour

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une empathie funèbre lie Fedora et le cinéaste qui orchestre ses rituels de grand spectre exilé

triomphal devant la caméra. Dans Fedora, c’est essentiellement le producteur qui désire un come-back que tout semble contrarier. Mais surtout dans les presque trenteans qui séparent les deux films, le cinéaste, à l’image de son double masculin Holden, est devenu plus âgé que son personnage de star féminine sur le retour. Il est devenu lui-même une vieille gloire hollywoodienne, un peu déchu de son rang de cinéaste oscarisé. L’heure n’est plus à la raillerie sur les vanités de la gloire. Une empathie funèbre lie le personnage de Fedora et le cinéaste qui orchestre ses rituels de grand spectre exilé. Dans Sunset Boulevard, Norma Desmond moquait la platitude réaliste du cinéma parlant, la vulgarité de ses interprètes. A l’inverse dans Fedora, c’est le producteur has been qui décoche des flèches contre la mode “de filmer dans la rue avec une petite caméra” ou la génération “des nouveaux barbus d’Hollywood”. Si on ne peut s’empêcher d’entendre Billy Wilder persifler derrière les répliques de son personnage, il n’est pas certain qu’il en partage pleinement l’hostilité. Ce qui frappe en revoyant Fedora, c’est sa parfaite contemporanéité de l’œuvre d’un des plus importants “barbus” du Nouvel Hollywood: Brian DePalma. Le film prend la forme d’un thriller

paranoïaque sur la manipulation et les simulacres. La résolution de l’intrigue, qui intervient de façon audacieuse en plein cœur du récit, repose même sur une histoire de body double (on n’en dira pas plus), et la construction en flash-backs explicatifs aux points de vue entrelacés n’est pas sans évoquer certains classiques seventies depalmiens (Obsession, Furie…). Les corps de femmes se substituent, chaque image se double d’un mensonge, tout n’est qu’apparat et mise en scène. Fedora, ce n’est rien, sinon un signifiant. Mais un signifiant puissamment carnivore, qui va engloutir beaucoup de corps vivants pour entretenir le mirage de son existence. D’autres films, à l’imaginaire tout aussi carnassier, croisent l’itinéraire de Fedora: LesYeux sans visage de Franju (masque et défiguration), Rebecca d’Hitchco*ck (gouvernante abusive et sadisme saphique sous-jacent)… C’est dire si Fedora est une œuvre puissamment hantée, un conte cruel à la beauté foudroyante, où la démythification annoncée des mensonges ataviques du cinéma est peu à peu débordée par un amour fou de ses puissances falsificatrices. Jean-Marc Lalanne Fedora de Billy Wilder, avec Marthe Keller, William Holden, José Ferrer, Hildegard Knef (Fr., All., 1978, 1 h 56, reprise) 21.08.2013 les inrockuptibles 61

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Jeune & jolie de François Ozon L’auteur de Dans la maison pose un regard froid et détaché sur une jeune fille qui se prostitue. Et joue avec la frustration du spectateur.

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zon est assez désarmant. Il y a dans sa personnalité une grâce ludique, une séduction enfantine, un plaisir à faire des films (il a souvent dit que faire un film, c’est jouer à la poupée), une faculté à encaisser, avec le sourire, échecs commerciaux ou mauvaises critiques, une capacité à ne jamais glisser dans l’aigreur ou la colère qui font qu’il “désarme” la critique au sens propre du terme. Ozon enquille les films à un rythme soutenu, avec facilité, distillant ce savoirfaire impeccable mais un peu lisse qui parfois fonctionne à merveille avec son goût de la perversité (Sous le sable, 8femmes, Potiche), parfois pas du tout (LesAmants criminels, Swimming Pool). Jeune &jolie, c’est l’entre-deux: ce film se regarde sans ennui mais sans passion, et s’anime grâce à quelques scènes plus vibrantes. Dès le titre, Ozon affirme son ironie à tiroirs: Jeune & jolie, c’était le nom d’un défunt magazine girly pour ados de 15ans, ce sont deux épithètes qui vont parfaitement à l’héroïne du film et actrice débutante, la superbe Marine Vacth. Sauf que l’occupation favorite de l’ado d’Ozon n’est pas le shopping ou le chat avec les copines, mais la prostitution: premier élément de “scandale”. La première moitié du film s’attache à décrire les journées d’une lycéenne qui fait des passes de 5 à 7. La mise en scène est élégante, behavioriste. On comprend progressivement que la fille ne se prostitue pas pour l’argent (sa famille est aisée, et elle range ses rémunérations dans un placard où

s’accumulent les billets), ni pour le plaisir (elle ne jouit pas, semble indifférente): l’opacité des motivations, plus épaisse que pour la Belle de jour de Buñuel, deuxième élément de “scandale”. Chacun peut imaginer les raisons de la Jeune & jolie: mettre du sel dans sa fade vie bourgeoise, se différencier secrètement de ses copines, soigner une blessure due à la recomposition de sa famille, etc. Jamais Ozon ne psychologise, ne juge, ne plaint, ne compatit ou n’explique: troisième élément de “scandale”, il ne fait que montrer et chaque spectateur doit se débrouiller. Cela posé, en dehors du mystère du personnage volontairement entretenu, le film n’est pas extrêmement passionnant: la fille est si introvertie qu’elle suscite difficilement l’engagement du spectateur, et la succession des passes est plus répétitive que bandante. Ozon ne sait ou ne désire filmer le sexe. Bref, ça ronronne, jusqu’au jour où un client décède dans les bras de la jeune fille. Quand le secret de la pute amateur vole en éclats, que famille et proches sont au courant, le film s’anime. La mère (excellente Géraldine Pailhas) et le beau-père (tout aussi bon Frédéric Pierrot) prennent en charge les questionnements des spectateurs: mais comment ? et surtout, pourquoi ? Les psys

quand le secret de la pute amateur vole en éclats, que famille et proches sont au courant, le film s’anime

s’en mêlent (le vrai psy Serge Hefez s’en sort très bien dans son propre rôle) comme de juste dans une famille bourgeoise éclairée. Mais rien n’y fait: Ozon et son personnage résistent aux analyses, la jeune fille et son désir de prostitution conservent leur opacité fondamentale. On comprend ce choix de cinéma (ne pas verser dans le jugement sociopsychologique, pas de film-dossier, respecter l’individualité, l’altérité et la liberté d’un personnage de fiction…) tout en le trouvant frustrant intellectuellement: on a toujours envie de comprendre un personnage, pour mieux l’aimer ou le haïr, pour vibrer avec ou contre lui. Cette jeune et jolie lycéenne, on ne l’aime ni ne la déteste, on est un peu indifférent à son sort puisqu’elle semble indifférente à tout et tous. Le caractère “scandaleux” de son activité est désamorcé par une sorte d’évidence tautologique: elle se prostitue parce qu’elle se prostitue, point barre. Elle est peut-être plus un objet théorique qu’un personnage de chair et de sang, un modèle bressonien plongé dans une fiction naturaliste, une sorte de miroir catalyseur des émotions des personnages l’entourant, comme dans la superbe dernière scène avec Charlotte Rampling, que l’on ne racontera pas si ce n’est pour dire qu’enfin, un vrai trouble affleure. Serge Kaganski Jeune & jolie de François Ozon, avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Charlotte Rampling (Fr., 2013, 1 h 34) lire aussi rencontre avec Marina Vacth page26

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Kick-Ass 2 de Jeff Wadlow avec Aaron Taylor-Johnson, (E.-U., 2013, 1 h 43)

Suite poussive et bancale. Le fil sur lequel se tient la franchise Kick-Ass est fragile: établir une structure classique de film de superhéros sur sa propre parodie, où l’héroïsme est à la fois hors-champ (objet de désir des personnages) et central (produit miraculeux du hasard). L’agilité qui avait permis au premier volet de maintenir cette schizophrénie, et même de poser les bases d’un revenge movie à sa suite, fait défaut à cette dernière. Blockbuster le plus bancal de l’année, Kick-Ass2 est emblématique d’une culture de l’instantané, cinéma amnésique où aucun parti pris comique, dramatique, ou même visuel, ne s’engage sur la durée. Il voudrait être un peu tout à la fois: quand il se pique d’un très sérieux premier degré, il n’offre qu’une version surgelée des dilemmes archétypaux du genre superhéros, référencé Spider-Man (dont l’oncle Ben se trouve ici cloné) ou Batman (deuil parental, mythe de la batcave) ; quand la paresse le reprend, il se contente d’en être une fainéante caricature. Bêtement satisfait par son recueil de mauvais sketches, le film se passe de toute problématique, convaincu que la “normalité” de ses personnages suffit à les priver de substance: antihéros que, malgré son apparente bonté d’âme, il regarde avec le plus grand dédain. Théo Ribeton

Mort à vendre de Faouzi Bensaïdi Un film-monde sur trois petit* voyous marocains qui embrasse large et étreint encore plus fort. a promo ne se gêne pas pour succincte), ni de bluffer avec des exploiter le nom de Martin Scorsese séquences musclées, –quoique le film soit qui, dit-on, adore le film. Pas d’un dynamisme épatant, reposant sur un étonnant: Mort à vendre est leMean grand sens chorégraphique–, mais de Streets maghrébin. Dressant un tableau faire déborder la vraie vie de toutes parts. vaste et varié de la vie d’une petite ville de C’est un film de genre qui englobe la côte nord marocaine, Tétouan, et par le réel, les à-côtés triviaux, la famille, extension de quasiment tout le pays, très loin de la mécanique à l’américaine letroisième film de ce cinéaste déjà (ou alors celle des premiers Scorsese, remarqué conjugue un filmage inspiré justement, qui donnaient autant de place –emploi inspiré et maîtrisé du décor à la vie, à la ville qu’à l’action). Un film urbain, capté avec adresse et vitalité–, noir social, si l’on veut, qui se déploie tant etune peinture complexe d’une société. sur le front du romantisme amoureux, Letout vu à travers les yeux de trois petit* auquel il se donne sans retenue, le temps voyous glandeurs, Malik, Allal et Soufiane, de quelques séquences presque nunuches, qui peinent à atteindre leurs rêves de que sur celui du monde du travail –la grandeur mafieuse (au-delà du vol de sac sœur de Malik travaille à l’usine–, comme à main), visant à devenir des dealers du côté du lâcher-prise débridé (amitié respectés. Cette ambition, vite déçue, et biture). les emmène sur des terrains accidentés Cela sans oublier une foule de voire minés. personnages secondaires. Cette même Malik, amoureux d’une belle prostituée, sœur, par exemple, vit un amour tente de se ranger en devenant indic ; clandestin avec un homme marié ; ou leur Soufiane glisse sur la pente savonneuse père, qui n’est pas leur père, mais leur de l’intégrisme ; le troisième, sorti oncle, boulanger trafiquant d’étiquettes de de prison, prépare un “gros coup”. marques de luxe, etc. Cela n’empêchant D’où un récit mouvementé, fracturé et pas d’impeccables scènes d’action, comme plein de revirements, au gré de ceux des une poursuite sur les toits et dans le lacis personnages, avec leurs volte-face, leurs des ruelles. La réponse du Maghreb conflits et leurs réconciliations. L’œuvre à un cinéma policier français englué nuancée fuit tout moralisme, montrant dans ses certitudes. Vincent Ostria que chaque situation à son envers et que chaque lien est relatif. Sa force est de ne Mort à vendre de Faouzi Bensaïdi, avec pas vouloir “faire polar” à tout prix (la Fehd Benchemsi, Fouad Labied, Mouhcine Malzi (Mar., Bel., Fr., E.A.U., 2011, 1 h 57) place de la police dans le récit est assez

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Les Flingueuses de Paul Feig

Mon bel oranger

avec Sandra Bullock, Melissa McCarthy, Marlon Wayans (E.-U., 2013, 1 h 57)

de Marcos Bernstein avec João Guilherme Avila, José de Abreu (Br., 2012, 1 h39)

L’enfance chahuteuse d’un petit Brésilien. Trop pittoresque. Adaptation d’un best-seller mondial, Mon bel oranger narre une enfance maltraitée, et comment un garçon de 8ans transcende son mal de vivre grâce à son exubérance et à son amitié avec un vieil homme. “Exubérance” est le mot-clé ici, que le cinéaste exprime par tous les moyens, en particulier par sa manie de la plongée et de la contre-plongée, avec lesquelles il caricature ses personnages. D’accord, ça bouge, imaginaire et réel sont mêlés, et ça flirte de loin avec le réalisme magique. Mais toute cette agitation bouffonne contribue à édulcorer la réalité, voire à nier la souffrance. Le sujet n’est pas très éloigné de celui de la trilogie de Bill Douglas récemment ressortie, mais la façon de le traiter est aux antipodes. Douglas plonge dans les racines du mal et en tire un précipité incandescent. Bernstein délaye le malaise sur un mode vaguement carnavalesque qui ne fait guère illusion. Vincent Ostria

Conjuring de James Wan L’auteur de Saw revient avec un film d’exorcisme au charme rétro et à l’efficacité implacable.

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’est une étonnante trajectoire que poursuit le nouveau pape de l’horreur, James Wan, depuis bientôt dixans. Après le phénomène Saw, responsable de l’apparition éphémère d’un sous-genre assez peu fréquentable, dit torture p*rn, le cinéaste a revisité toutes les époques de l’imaginaire bis, passant du film gothique (Dead Silence) au vigilante urbain 70’s (Death Sentence) sans rien changer, ou presque, de ses modèles fétichisés. Une pente rétro qui le mène logiquement au film paranormal avec Conjuring –Les Dossiers Warren, vrai-faux remake d’Amityville –La Maison du diable de Stuart Rosenberg dont James Wan reprend la situation initiale des personnages, ainsi que les contextes géographiques et temporels. Il y est donc question d’une famille américaine victime d’une série de phénomènes surnaturels et d’apparitions fantomatiques. Mystère qu’un couple d’enquêteurs paranormaux (les Warren du titre, dont on raconte qu’ils ont réellement existé) tentera d’élucider en quelques scènes chocs. Du manoir hanté aux scènes de possession diabolique, des cataclysmes naturels aux bondieuseries décoratives, James Wan vise un simple principe d’efficacité et réactive, avec une vraie candeur, tous les codes du bis seventies sans jamais céder à l’ironie ou à la distance postmoderne, filmant chaque claquement de porte, chaque sursaut et miroir réfléchissant comme pour la première fois. Il trouve surtout, dans le dénuement quasi conceptuel qu’épouse le récit de Conjuring, l’écrin idéal d’un exercice de style virtuose sur le motif de la peur, dont il est l’un des seuls, aujourd’hui, à maîtriser les mécanismes. Si l’effroi est une question de rythme, de précision, en somme de musicalité, disons alors qu’il a trouvé chez James Wan son meilleur soliste du moment. Romain Blondeau

Conjuring – Les Dossiers Warren de James Wan, avec Vera Farmiga, Patrick Wilson, Lili Taylor (E.-U., 2013, 1 h 52)

Buddy-movie au féminin sauvé par l’excessive Melissa McCarthy. Au lieu d’obtenir la promotion qu’elle attendait, Sarah Ashburn, agent du FBI, compétente mais psychorigide, est envoyée chasser le trafiquant à Boston. Sur place, elle est confrontée à un problème inattendu: le comportement de Mullins, fliquesse avec qui elle doit faire équipe, dont la grossièreté se dispute à la brutalité. Après Mes meilleures amies, superbe farce romantico-trash (avec Kristen Wiig), Paul Feig met un bémol à ses ambitions artistiques avec un buddy-movie formulaic (formaté), quoique féminin, où Melissa McCarthy, déjà très remarquée dans Mes meilleures amies, s’arroge la part du lion en big mama vulgos qui bizute l’agent fédéral joué par Sandra Bullock. Opposition facile, logique, dans un script relativement banal. Mais McCarthy parvient à hisser le film un cran au-dessus des clichés par sa présence et son bagout. Voir comment elle dégivre sa collègue guindée et la transforme en chaudasse, en saccageant sa garderobe dans une scène de boîte de nuit. Bref, cette comédie inégale est sauvée par cette faculté de McCarthy à pousser les situations jusqu’à la limite du déraillement. Une actrice qui donne l’impression d’improviser dans un film aussi balisé, ça fait toute la différence. V. O.

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Stealth Inc. –AClone in the Dark

demandez le programme Pour la première fois, l’architecture d’un jeu de plate-forme, Cloudberry Kingdom, est livrée à un programme informatique. Déroutant mais captivant.

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t si, alors que l’on s’échine àcélébrer leurs mérites, lesconcepteurs de jeux vidéo décidaient de s’effacer pour déléguer à la machine la part apriori la plus créative de leur travail ? C’est ce que viennent de faire lesNew-Yorkais de Pwnee Studios avec Cloudberry Kingdom, jeu de plate-forme2D dans la grande tradition du genre (univers coloré, parcours piégeux, héros rigolo), à un détail près: l’architecture de ses niveaux n’est pas le fruit de l’ingéniosité humaine mais d’un programme informatique. Lesalgorithmes de génération procédurale n’ont certes rien d’une nouveauté. Desdonjons de Diablo aux environnements de Minecraft en passant par l’île de Proteus, Cloudberry Kingdom s’inscrit même dansune grande tradition de level design semi-aléatoire, mais jamais aucun jeu de plate-forme, genre où la précision est reine, ne s’y était encore essayé à cette échelle. Aurait-on réagi différemment si les développeurs n’avaient pas levé le voile sur leurs secrets de fabrication ? Toujours est-il que l’expérience procure un sentiment étrange: celui que, si le système fonctionne, quelque chose manque quand même. Une présence, un sens, une âme. Tout grand jeu de plate-forme, de Yoshi’s Island à Super

soudain, voilà qu’un niveau se révèle absolument brillant, tenant du coup de génie

Meat Boy, est un reflet de la personnalité deson (ou ses) auteur(s) avec qui s’instaure une sorte de dialogue à distance. C’est undéfi qu’ils nous lancent, une vision qu’ils nous font partager, un tempo qu’ils nous invitent à adopter. Et les moments les plus forts, justement, sont ceux où, tout en jouant, on prend conscience d’une idée subtile, on reconnaît une intention malicieuse, on identifie un style. Par la force des choses, il n’y a rien de tout cela dans Cloudberry Kingdom (qui compense en partie par l’abondance de ses modes de jeu). D’où, parfois, l’impression qu’il est vain de s’accrocher –l’aventure se révèle d’une difficulté franchement élevée– puisque l’épreuve qui nous pose problème n’a pas été pensée, elle n’est qu’un effet duhasard (ainsi que, quand même, des paramètres intégrés à leur programme par les apprentis sorciers de Pwnee Studios). Etpuis, soudain, voilà qu’un niveau se révèle absolument brillant, l’organisation de ses éléments (plates-formes fixes oumobiles, piques sortant du sol, lasers clignotants…) tenant du coup de génie. Si Cloudberry Kingdom était une œuvre filmique, ce ne serait pas un long métrage d’auteur mais, plutôt, le flux incertain, globalement ennuyeux mais d’une beauté ponctuellement troublante, enregistré par une caméra de surveillance. Or, parfois, lehasard fait magnifiquement les choses. Erwan Higuinen Cloudberry Kingdom sur PS3, Xbox 360, Wii U et PC (Pwnee Studios/Ubisoft), environ 10€ entéléchargement. A paraître sur Mac et PS Vita

sur PS3 et PS Vita (Curve Studios), 9,99€ en téléchargement Plus connu sur Mac, PC et Android sous le nom de StealthBastard, Stealth Inc. est une merveille de casse-tête dynamique qui trouve en la Vita (portable, tactile et néanmoins pourvue de boutons) la console qui convient le mieux à sa riche et retorse collection d’énigmes brèves mais intenses. Quelque part entre Portal (il est question de“tests” en laboratoire), un Metal Gear primitif (le but: ne pas se faire repérer) et les premiers Oddworld (pour l’esthétique futuriste et la parabole ironique), l’œuvre subtile etgratifiante des Londoniens du studio Curve demeure uneéclatante leçon de level design. E.H

Kokuga sur 3DS (G.Rev), 14,99 € en téléchargement Père de Radiant Silvergun et d’Ikaruga, Hiroshi Iuchi est l’un des rois du shoot’em up moderne. L’un de ceux, aussi,qui ont toujours refusé de choisir entre le sensuel etle cérébral, entre la finesse conceptuelle et le déluge defeu. Pas question non plus pour lui de se reposer sur seslauriers: avec Kokuga, iltourne le dos à ses arabesques intersidérales pour nous confier un véhicule lourd, cloué au sol, difficile à manœuvrer. Et semble lancer un défi: saura-t-on s’en rendre suffisamment maître pour donner grâce et fluidité à la traversée de ses niveaux à la configuration démoniaque ? Une chose est sûre: il faudra des nerfs d’acier. E.H. 21.08.2013 les inrockuptibles 65

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Un (anti)héros (Liev Schreiber) confronté au retour de son père (Jon Voight)

lost angeles Les bas-fonds d’Hollywood et le destin tordu d’une famille se croisent dans Ray Donovan, l’une des meilleures nouveautés de l’été.

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epuis que Raymond Chandler, James Ellroy et quelques autres l’ont élue capitale du “noir”, LosAngeles déverse son spleen ensoleillé et vicieux sur le monde entier. L’envers du décor antispectaculaire et décadent a définitivement ringardisé les images trop douces de carte postale. La dernière création en date de la chaîne câblée américaine Showtime (Dexter, Homeland) réactive depuis le début de l’été cette tradition vintage pleine d’aspérités. Dans Ray Donovan, la ville aux palmiers angoissants semble dévitalisée. On y bosse, on y pleure, on y meure. L. A. fait office de dernière escale avant l’enfer pour une poignée d’âmes venues s’échouer sur les côtes de Californie, faute de mieux. Parmi eux figure le quadra qui donne son nom à la série –interprété par le sexy Liev Schreiber. Ce garçon originaire de Boston-sud soupire beaucoup mais il parle peu, préférant avancer en silence et franchir les obstacles sans bruit. Une jeune femme à la fois séduite et flippée lui fait remarquer son mutisme excessif dès le premier épisode, sans vraiment provoquer de cataclysme intérieur chez son interlocuteur. Il faut dire que le garçon exerce un métier incitant à une discrétion de chat. Au service

d’un prestigieux cabinet d’avocats, Ray Donovan est un fixer très introduit à Hollywood. Si un rappeur se réveille un matin auprès d’une mannequin morte d’overdose pendant la nuit, son téléphone sonne. Idem si un jeune premier dont le blockbuster sort dans quelques semaines se fait choper avec un transsexuel sur Sunset Boulevard. Effacer des traces compromettantes, régler des petites affaires privées au prix d’intimidations plus ou moins explicites: la routine glauque et glamour ne se termine jamais. Ancienne de NYPD Blue et de Southland, la créatrice Ann Biderman s’est plongée dans les archives hollywoodiennes pour nourrir les scénarios de la première saison: “Nous avons aussi parlé à des journalistes de la presse tabloïd, des agents, des avocats, des consultants en sécurité. Cette tradition du fixeur est très vivace à Hollywood depuis l’âge d’or…” Avec un tel matériau de départ, la série pourrait se contenter de sautiller d’affaire en affaire et d’anecdote en anecdote sans demander son reste. Mais les exigences du récit télé moderne poussent Ray Donovan dans d’autres directions à la fois plus amples et plus attendues. A la fin du premier épisode, le héros voit resurgir dans sa vie le seul homme dont il a

vraiment peur: son père (Jon Voight, visiblement content d’être là), tout frais sorti de deux décennies passées en prison, pour des raisons auxquelles il n’est probablement pas étranger. Le vieil homme diabolique sur les bords veut reprendre la main. La grande angoisse commence pour cette famille dont on comprend bientôt qu’elle ne demande qu’à se désintégrer, entre un œdipe toujours pas réglé et quelques traumas lourds à gérer –des abus sexuels commis par un prêtre sur un frère de Ray. Le mélange entre l’exploration des bas-fonds hollywoodiens et le drame familial classique porte ses fruits assez vite. Sans se hisser encore à la hauteur des grandes séries d’aujourd’hui, Ray Donovan colle à la peau et captive par sa tristesse et sa folie latentes –voir l’incroyable final de l’épisode4. D’épisode en épisode, la fiction avance de plus en plus tranquillement, comme si elle voulait se défaire de ses propres chaînes et des conventions qu’elle s’imposait pour devenir libre et par moments totalement barrée. Cette capacité de renouvellement et d’approfondissem*nt donne foi en l’avenir. Showtime a déjà commandé une deuxième saison. Olivier Joyard Ray Donovan sur Showtime

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à suivre… Anna Torv est Open Les amateurs de Fringe n’auront pas à pleurer leur héroïne trop longtemps. L’actrice Anna Torv a signé pour tenir l’un des premiers rôles d’Open, la série sexuellement explicite de Ryan Murphy, créateur de Nip/Tuck. Elle interprétera une prof de yoga lesbienne, en couple avec Jennifer Jason Leigh. Tournage du pilote à la rentrée, diffusion sur HBO en 2014.

l’après-Weeds Le branleur cosmique de Weeds, Justin Kirk, va changer d’univers. Il tiendra l’un des premiers rôles de la nouvelle série d’espionnage politique qu’Howard Gordon et Gideon Raff –cocréateurs d’Homeland– ont conçue pour la chaîne FX. Dans la très attendue Tyrant, Kirk jouera le rôle d’un diplomate américain un peu trouble en poste au Moyen-Orient, dans un pays en proie à des émeutes.

au cinéma vendredi soir

La grande Friday Night Lights pourrait être adaptée au cinéma. Est-ce vraiment une bonne idée ? a merveilleuse actrice Connie Britton l’a annoncé à un magazine féminin américain: elle a tenu cet été entre les mains le scénario de Friday Night Lights, le film. Après cinq saisons parmi les plus fortes de l’histoire contemporaine des séries, la fin de cette Hillary Clinton aventure épique au cœur du Texas et de en mini ses communautés déphasées avait laissé L’ex-First Lady et secrétaire les fans à leurs larmes. Coach Taylor et d’Etat de Barack Obama va ses acolytes pourraient donc effectuer leur voir sa vie transformée en retour au cinéma, même si aucune date de minisérie par la chaîne NBC. tournage n’a été annoncée. Récemment, Peu d’infos ont filtré sur une autre série attrape-cœur a enclenché le projet, sinon le nom de un processus de renaissance sur grand l’actrice pressentie, qui fait écran. Grâce au site de crowdfunding très envie: Diane Lane. Diffusion attendue… avant Kickstarter, le créateur de Veronica Mars, les prochaines élections Rob Thomas, a réuni assez d’argent pour américaines. boucler son financement et imaginer une vraie fin à sa série fauchée en plein vol. Le cas Friday Night Lights est différent. Si l’adaptation a été confiée à Peter Berg, qui a autrefois lancé la série et réalisé le film qui la précédait –gage de fidélité Boardwalk Empire S3 à l’esprit initial–, une question se pose: (OCS max, le 27 à 20 h 40) Révisons à part l’intense plaisir des retrouvailles, l’histoire de la prohibition grâce à cette pourquoi faire revivre un cadavre aussi création d’un ancien scénariste des beau ? Conclue de manière très pensée, Soprano, avec un Steve Buscemi au top. Saison4 aux Etats-Unis en septembre. presque idéale (tout le contraire de Veronica Mars), Friday Night Lights avait Treme S2 (France Ô, le 24 à 22 h 15) bien sûr laissé ouvertes quelques pistes France Ô est la seule chaîne hertzienne au bout de ses soixante-seize épisodes. diffusant les séries du grand David Assez pour imaginer un film. Mais mettre Simon. Après TheWire, voici Treme, des images sur une frustration et des plongée musicale extraordinaire dans fantasmes est peut-être le pire cadeau la Nouvelle-Orléans post-Katrina. à faire aux amateurs. Le sentiment d’incomplétude est un corollaire de notre Urgences S12 (France 4, le 26 à 14 h 30) désir devant les séries. Même si elle Tous les jours, un shoot d’Urgences est revient en fanfare, avec tapis rouge et possible, histoire de se souvenir que les avant-premières guindées, Friday Night bonnes séries n’ont pas été inventées Lights ne sera plus jamais elle-même. dans les années2000. Un grand drama médical ample et bouleversant. Autant s’y préparer. O.J.

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agenda télé

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chercheuse d’extases Après deux disques en chambre, l’Américaine de L. A. JuliaHolter s’offre un orchestre pour donner toute l’ampleur nécessaire à ses chansons, inspirées de Colette mais résolument contemporaines.

E Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

ncapuchonnée telle une rappeuse chafouine, trouvant difficilement les mots dans son cerveau soumis au jetlag, JuliaHolter n’est visiblement pas du matin. Un bon quart d’heure de chauffe, le temps d’une camomille, et enfin elle tombe la capuche, dévoilant un joli minois juvénile et une pensée articulée avec la même minutie que ses albums. Elleressemble ainsi à sa musique, dont les trésors et secrets ne se livreront pas aux impatients, mais combleront ceux qui s’y glisseront comme à l’intérieur d’un dédale onirique à la beauté de nacre et de cristal. Cette (jeune) fille est très dispendieuse en merveilles, et cela depuis un premier album, Tragedy, paru en 2011, surpassé l’année suivante par l’impressionnant Ekstasis. Deux albums d’une musique de chambre (car composés en autarcie) aux opacités au moins égales à leur luminosité d’ensemble, qui convoquaient Euripide (Hippolyte) autant qu’Alain Resnais

(Marienbad) à travers les ramifications d’un folk expérimental à la sensualité revêche qui lui valut d’être adoubée par le chic et (parfois) hermétique magazine The Wire. A29ans, cette Californienne de LosAngeles n’a pas été programmée pour devenir une poupée de son, ni même une folkeuse dans la tradition Laurel Canyon du terme. C’est avant tout une tête chercheuse propulsée dans le circuit pop mais qui aurait tout aussi bien pu s’épanouir dans les contre-allées de la musique contemporaine. “Je n’ai jamais cherché à devenir Beyoncé, plaide-t-elle, mais cela m’ennuierait encore plus d’être obligée d’avoir un autre métier en dehors de la musique.” Son nouvel album, Loud City Song, plus accessible que les précédents, lui rapportera sans aucun doute les dividendes nécessaires pour poursuivre son cheminement singulier, à cheval entre la pop et la recherche, sur les pas des

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on connaît la chanson

Rick Bao

“je ne suis pas en contact avec le monde des stars mais je me pose des questions sur l’irréalité de ce monde” JuliaHolter

glorieuses aînées auxquelles on la compare souvent, Kate Bush ou Laurie Anderson. Pour Loud City Song, Julia Holter a accepté pour la première fois de quitter son terrier et son ordinateur pour embarquer dans un véritable studio, confrontée à de vrais musiciens pour donner toute l’amplitude nécessaire à sa musique, avec l’aide du producteur ColeM.Greif-Neill, ancien du groupe d’Ariel Pink, qui officiait déjà sur Ekstasis. Lagenèse de ce nouvel album remonte d’ailleurs au précédent, lorsqu’une chanson composée d’après le roman de Colette, Gigi,ne trouva alors pas sa place parmi les autres. “J’ai gardé ce morceau, Maxim’sII, enme disant que je construirais plus tard un disque autour. Je me suis inspirée autant du roman de Colette que de la comédie musicale qui en découla. La chanson parle de gens qui travaillent dans un bar et des rumeurs qui circulent autour d’eux, et cela me rappelait ce qui se passe aujourd’hui avec les réseaux sociaux. De la même manière, je ne voulais pas d’un disque illustratif caricatural qui parlerait au passé du Paris du début du XXesiècle. C’est un point de départ, un fil que j’ai tiré pour le relier à la vie mondaine de L. A. aujourd’hui. Je ne suis pas en contact avec le monde des stars mais ce que j’en perçois à travers les médias m’amène à me poser des questions sur l’irréalité de ce monde, qui est pourtant voisin de celui dans lequel je vis. C’est assez troublant.” Troublant en effet est ce World qui ouvre l’album, où d’une voix de sirène bientôt

enrubannée de cordes, de vents et de clavecins, Julia Holter s’octroie en moins de cinq minutes une espèce de brevet des plus hautes altitudes. La plupart des chanteuses du circuit devraient songer d’ailleurs à arrêter de simuler le vertige après le passage d’une telle bourrasque. Parée d’orchestrations orgueilleuses, lafée minimaliste d’hier s’est métamorphosée en diva empourprée pour les besoins d’un disque passionnel, romanesque, quasi hollywoodien sur l’échelle de Holter. Ces formes plus charnelles d’écriture n’empêchent nullement son cerveau de turbiner autant qu’avant et d’imaginer des trouvailles sonores, des matières et des climats inouïs, souvent à couper le souffle. Lorsqu’elle s’offre quelques incursions dans le jazz (In the Green Wild, Maxim’sII), elle embrasse l’improvisation avec la même acuité que la Joni Mitchell des années70, sans jamais perdre le fil narratif ni la cohérence de son propos. Demême, quand elle reprend en plein milieu le sublime HelloStranger de la chanteuse soul Barbara Lewis, elle l’apprivoise comme s’il s’agissait d’une mélodie médiévale, son autre grande influence. Et enchaîne avec le frivole This Is a True Heart qui aurait pu appartenir au répertoire d’une Petula Clark ou Sandie Shaw, pourtant si lointaines de sa galaxie. Plus proche d’elle, sans doute celle dont l’empreinte reste la plus forte sur son travail, on trouve la méconnue Linda Perhacs, avec laquelle Julia a collaboré sur un futur album, successeur du grandiose Parallelograms paru il y a quarante-troisans. Loud City Song en est déjà, à bien des égards, l’héritier le plus légitime. ChristopheConte album Loud City Song (Domino/Pias) concert le 30 octobre à Paris (Divan du Monde) www.juliashammasholter.com

c’était l’été Souvenez-vous: début juillet, c’était encore “l’hiver indien” (©Bertrand Belin), la Bretagne semblait s’être étendue à l’ensemble du territoire français. On allait donc se résigner à passer les vacances au coin du radiateur, à sécher nos vêtements (mais pas nos larmes) en écoutant Stromae, en digérant des nouvelles affligeantes –genre “un Norvégien néo-nazi black-métalleux arrêté en Corrèze”. Puis il est arrivé, et nous, on est partis. Sur la route des vacances, LeSud de Nino Ferrer, toujours. Les vacances, c’est pour se reposer. Mais, comme l’écrivait Pascal Quignard, “il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières”. Ni de lunettes de soleil. Le meilleur moyen de se reposer les oreilles en vacances, c’est de ne pas écouter de musique. Ou pas volontairement. Le bruit des cigales plutôt que le nouveau TySegall. Le rythme de la balle de ping-pong sur la table, dont le nombre de BPM augmente jour après jour. Le crépitement extatique, noise et transe, du magret sur le barbecue. La tentative désespérée de jouer des percussions aquatiques sans déranger les voisins de bain. Le soundsystem venu du ciel, un soir d’orage beau comme un clip. La musique s’est rappelée à nous lâchement: le 26juillet, on apprend la mort de JJ Cale. Aucun disque sous la main pour célébrer sa mémoire, mais rester là sans rien faire dans le transat, une bière à la main, c’est une forme d’hommage au mec le plus en vacances du folk américain. La vraie vie et l’actu nous rattrapent dès le 3août, quand on apprend que PJ Harvey a mis en ligne (sur le site du Guardian) une nouvelle chanson écrite pour dénoncer la détention du dernier citoyen britannique à Guantánamo. Il est déjà temps de rentrer. Une pile de disques nous attend. Les rotatives chauffent. La conscience professionnelle reprend le dessus, et c’est elle qui nous pousse à vous livrer cette info de dernière minute: cette année, ni Amy Winehouse ni Oasis ne joueront à Rock en Seine.

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Ásgeir Trausti

Gudmundur Kristinn Jonsson

Erlend Øye

un Islandais en Grant Quelques semaines après la sortie de son deuxième album Pale Green Ghosts, John Grant refait des siennes. L’Américain s’est plongé dans Dyrd I Daudathogn, le premier album du musicien islandais Ásgeir Trausti. Inconnu sur nos terres, le jeune homme cartonne sur son île, où son disque est devenu l’album le mieux vendu à sa sortie dans l’histoire de la musique islandaise. Séduit par la chose, Grant a traduit les paroles du musicien en anglais: cette nouvelle version, désormais nommée In the Silence, est annoncée pour le 28octobre via le label One Little Indian.

un Norvégien en Sicile

Karen O retrouve Spike Jonze Après avoir signé l’inoubliable BO de Where the Wild Things Are, KarenO des Yeah Yeah Yeahs a retrouvé le réalisateur Spike Jonze : pour le nouveau film de l’Américain, elle a composé la chanson TheMoon Song. Annoncé pour novembre, Her mettra en scène notamment Joaquin Phoenix et Scarlett Johansson. Le reste de la BO a été composé par Arcade Fire.

cette semaine

Vieux Farka Touré

Rock en Seine à Saint-Cloud Rendez-vous immanquable de la rentrée, le festival francilien propose cette année encore une affiche explosive, mêlant grosses pointures (Nine Inch Nails, Franz Ferdinand, Phoenix), belles légendes (Johnny Marr, The Pastels) et jeunes pousses (Temples, Savages, Eugene McGuinness, Fauve, Valerie June). du 23 au 25 août

Zeb Goodell

Le Scandinave Erlend Øye, moitié des Kings Of Convenience, s’est installé à Syracuse en Sicile l’année dernière. Découvrant la musique italienne des sixties et seventies, le musicien a aussi appris l’italien et enregistré, aidé par ses complices de TheWhitest Boy Alive, son premier morceau dans la langue de Dante: LaPrima Estate. Estivale et kitsch, la chanson porte le titre d’un album à venir en fin d’année.

le retour des Touré Vieux Farka Touré et Sidi Touré sortiront Mon pays et Alafia, leurs beaux nouveaux albums respectifs, en septembre. Deux Maliens du Nord, disciples du maître Ali Farka Touré (le premier est même son fils), dont les albums abordent et transcendent la guerre et les troubles politiques maliens. La reconstruction musicale est en marche…

neuf

The Beta Band Les inoubliables Beta Band ont annoncé la sortie d’un coffret intégral pour le 7octobre. TheRegal Years comprendra six disques: leurstrois premiers ep, leur premier album officiel de 1999, Hot Shots II (2001), Heroes to Zeros (2004), ainsi que desdemos, remixes et extraits de concerts. Un régal. facebook.com/thebetas

Golden Suits

A l’heure du retour de MazzyStar, levons les yeux vers un autre astre noir du psychédélisme californien: dans son troisième album HardComingdown, Gun Outfit retourne sur les terres cramées jadis arpentées par le Velvet Underground, des drogues plein les poches, et des poches sous les yeux. www.postpresentmedium.com

Eric Schwortz

Gun Outfit

Fleetwood Mac L’an passé, une belle brochette d’artistes (Best Coast, MGMT, The Kills…) rendait hommage à l’œuvre de Fleetwood Mac sur un album tribute. Auprintemps dernier, le groupe publiait Extended Play, un ep inédit, avant d’annoncer une longue tournée automnale. Elle passera par Paris le 11octobre, à Bercy. www.fleetwoodmac.com

Corinne Day

Nouveau projet de Fred Nicolaus, Golden Suits sort un premier album en septembre. Un disque solo, sur lequel l’Américain a convié des copains de Grizzly Bear, Milagres ou Ava Luna, pour agencer un recueil de pop claire et charmeuse, qui devrait enchanter les amoureux de Death Cab For Cutie. www.goldensuits.com

vintage

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Effrontément jeunes mais déjà très savants dès leur premier disque, en 2010, les Montréalais Braids ont traversé l’enfer et en ressortent avec un impressionnant deuxième album aux chansons magnifiques, dédaléennes et plus électroniques.

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a valeur, dit-on, n’attend pas lenombre des années. L’adage est éculé, mais peut-être n’a-t-il jamais été aussi vrai qu’avec Braids. Le premier contact avec les Montréalais s’est fait en 2010, chez eux, lors du festival M pour Montréal. Stop. Relisons cette dernière phrase et regardons une photo du groupe, prise cette année: une faille dans l’espace-temps nous joue des tours. Encore gamins en 2013, ilsne pouvaient que traîner sur les bancs de l’école primaire en 2010, certainement pas dans une salle de concert, encore moins sur scène. On n’a pourtant pas rêvé ce moment fascinant, épiphanique, pas plus qu’on a rêvé celui au Festival des Inrocks, un an plus tard, tout aussi magique. On n’a pas rêvé cette discordance étrange entre des visages poupons, des corps éternellement jeunes et la science, immense, se dégageant de la musique des Canadiens. On n’a pas rêvé du très beau premier album du groupe, Native Speaker (2011), de ses morceaux sans âge, arabesques complexes qui doit autant à Animal Collective qu’à Kate Bush, àLeila qu’à Grimes, au futur qu’aux psalmodies detribus oubliées.

Landon Speers

renaissance Braids non plus n’a rien rêvé. Le groupe a même, depuis Native Speaker, plutôt cauchemardé, traversant des épreuves qui auraient mis bien des aînés à terre mais qui ont fini par faire mûrir encore plus vite les jeunes gens. “J’ai dû lutter pour conserver ma stabilité mentale, explique sans fard Raphaelle Standell-Preston, 23ans pour l’état civil mais la sagesse d’une centenaire en interview. Une dépression profonde, si profonde que je me suis parfois fait peur. Mais le plus important a été le départ de Katie. A la fin de la tournée de Native Speaker, nous nous sommes rendu compte que ça ne collait plus entre nous, et en particulier avec Katie, qui s’éloignait de plus en plus. Avec Austin et Taylor, nous avons décidé de continuer –mais cette décision n’incluait pas Katie. C’était très dur: nous étions des amies proches, depuis longtemps, et cette amitié afini par se détruire. Maisnous savions que le groupe imploserait si nous ne rompions pas cette relation.” Le groupe, en virant Katie Lee, n’a pas choisi de continuer. Il a choisi de mourir puis de renaître, neuf au monde. “Flourish // Perish, fleurir puis périr, ce cycle n’est pas unique: on naît et meurt, intimement, denombreuses fois au cours d’une vie.” Pour Braids, désormais trio, la résurrection s’est faite électronique. “Nous avons exploré la musique électronique dans tous les sens, aussi profondément que possible. Elle s’est imposée à nous, naturellement ; nous n’avions en revanche aucune idée de la façon dont on la crée. Nous avons donc fait à notre manière.

“on naît et meurt, intimement, de nombreuses fois au cours d’une vie” Nous voulions par exemple essayer de capturer les idées instantanées, souvent les plus puissantes, qui peuvent venir quand on répète ou quand on écrit, lesaccidents qui sont parfois ignorés quand on essaie demaîtriser un album au maximum comme on l’a fait avec Native Speaker, qui a fini par nous sembler trop clinique.” Kaléidoscope sonique inédit pour le groupe, construction fascinante et pointilliste, Flourish // Perish dépasse le pourtant formidable Native Speaker de troisgalaxies. Braids a, àla fois, affirmé son songwriting et a approfondi son savoir expérimental: les Montréalais écrivent desplendides chansons mais ne les laissent jamais tranquilles, embarquent leurs beautés dans d’infinis dédales synthétiques, lesconfrontent à des arrangements imprévus, lesprojettent contre des rythmiques indomptables. On aime se perdre dans ce labyrinthe multicolore etsensible: on pourrait nejamais vouloir en sortir. ThomasBurgel album Flourish // Perish (Arbutus/Pias) concert le 9 septembre à Paris (Nouveau Casino) www.braidsmusic.com retrouvez l’intégralité de l’entretien sur

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Alexis Maryon

baguettes magiques Aujourd’hui septuagénaire, Mulatu Astatke, vibraphoniste inventeur de l’éthio-jazz, sort un beau disque entre métissage et tradition.

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orsque la chance débarque à l’improviste dans votre vie, il faut d’abord savoir lareconnaître. Cheveux blancs en pétard, lunettes noires, veste sombre et classe, elle avait une sacrée allure le soir où elle frappa à la porte de la loge de Mulatu Astatke après un concert au Winter Garden, à Broadway en 2004. Le vibraphoniste éthiopien se leva pour la saluer, et elle lui sourit de toutes ses dents en lui tendant une main ouverte: “Hi, I’m Jim Jarmusch…” L’œil émerillonné, Mulatu en rit encore aujourd’hui pendant les interviews: “Son manager m’avait téléphoné l’après-midi pour me prévenir de sa visite, mais je n’avais pas eu le temps de me renseigner. Je n’avais vu aucun de ses films, je ne savais pas à qui j’avais à faire.

Il m’a juste dit qu’il adorait ma musique et qu’il cherchait quelque chose d’original pour son nouveau film, alors je lui ai dédicacé un CD. Ensuite, jen’ai plus eu de nouvelles pendant trois mois… Je l’avais complètement oublié quand il m’a appelé pour me dire: ‘Çamarche ! Votre musique sur mes images, ça donne des émotions fabuleuses !’ Depuis, on s’envoie nos vœux pour les fêtes de Noël, mais je ne l’ai jamais revu après la sortie du film. Il a pourtant changé le cours de ma carrière, pour sûr.” La BO de Broken Flowers (2005) marqua la seconde résurrection du maestro éthiopien –quelques années plus tôt, le producteur français Francis Falceto avait exhumé ses épopées polyphoniques pour les compilations Ethiopiques chez Buda Musique. Depuis, sa légende continue de s’écrire au

présent, avec des chapitres plus ou moins lumineux. On peut conseiller par exemple cette cavalcade céleste dans la galaxie desHeliocentrics en 2009 (Inspiration Information) et surtout le nouveau Sketches of Ethiopia, qui surclasse tous ses disques récents. Mulatu n’a jamais été un soliste virtuose, mais la finesse de ses compositions impressionne toujours. Baptisé en référence au Sketches of Spain de Miles Davis, ce nouvel album se révèle évidemment moins ibérique qu’amharique. Dèsl’ouverture, lekrar et le masinko traditionnel plongent l’auditeur dans la moiteur mystique des nuits d’Addis-Abeba (Azmari). Puis, en quelques coups de baguettes magiques sur son vibraphone, Mulatu émerge sur la cime des montagnes de la région de Gamo Gofa

(Gamo), avecles incantations rauques de Tesfaye pour rythmer la danse. Plus loin, le prodrome majestueux du violoncelle de Motherland Abay rend unnouvel hommage auxethnies du sud de l’Ethiopie qui ont inventé le jazz avant le jazz. “Et la musique classique aussi !, chuchote Mulatu en surjouant le ton de la confidence. Certaines tribus forment depuis des siècles des orchestres symphoniques composés d’une vingtaine de flûtes en bambou de différentes tailles, différents diamètres. Ils maîtrisaient les principes rythmiques utilisés dans les improvisations jazz bien avant la naissance de Charlie Parker.” A l’écoute de Sketches of Ethiopia, on comprend mieux pourquoi son auteur arbore en permanence ce petit sourire malicieux sous sa moustache poivre et sel. Le monde entier vibre sur ses thèmes chaloupés: laMalienne Fatoumata Diawara le rejoint sur le morceau Surma, et le Brésilien Criolo l’a sollicité pour son prochain album. A70ans, le jeune fanfaron éthiopien semble loin d’avoir joué son dernier sketch. DavidCommeillas album Sketches of Ethiopia (Jazz Village/Harmonia Mundi) concert le 10 octobre à Paris (Trianon)

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Dimitri Van Zeebroeck

Bent Van Looy Round the Bend EMI En marge de ses aventures collectives, le Belge BentVanLooy se fait crooner romantique sur un bel album de chansons au piano. chappé de son sympathique Par l’intermédiaire d’un ami, groupe belge Das Pop, certains morceaux sont arrivés le songwriter Bent Van Looy jusqu’aux oreilles de Jason s’offre une parenthèse Falkner, musicien américain érudit en solitaire et crée la surprise. habitué aux belles collaborations Avec ses acolytes, le musicien avait (McCartney, Beck, Aimee Mann). en effet l’habitude d’officier dans Fasciné, ce dernier a proposé au une veine pop sucrée et ludique. Belge d’enregistrer son disque Sans eux, il change de registre: avec lui, et Van Looy s’est retrouvé il se mue en descendant officiel dans son studio d’Hollywood de Randy Newman ou Billy Joel, pour façonner Round the Bend se fait crooner du troisième en trois semaines. Soit un album millénaire, capable de faire de au charme délicat que le Belge grands petit* miracles mélodiques interprète avec une aisance vocale avec un piano. Parisien depuis impressionnante, et qui rappelle septans, Bent s’est niché au à notre souvenir de bien beaux dernier étage d’une des plus épisodes de l’histoire musicale, vieilles maisons du Marais, qu’il s’agisse de ceux de Ben Folds avec un piano Wurlitzer comme ou de certains vieux travaux unique compagnon. Là, entouré de Rufus Wainwright (Flowers de quelques amis spectateurs, and Balloons, The Hard Part). il a commencé à agencer une Même sens mélodique, même collection de chansons, les a romantisme discret, même ensuite peaufinées lors d’une ravissem*nt pour les oreilles. JohannaSeban série de concerts dans des bars et des arrière-boutiques, et enfin sur la scène du Silencio www.bentvanlooy.com à Paris, où il s’est vu offrir en écoute sur lesinrocks.com avec une soirée mensuelle.

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British Sea Power Machineries of Joy RoughTrade/Beggars Toujours excentrique mais moins éparpillée, la troupe déglinguée de Brighton fait des miracles. Jouer sur la grande dixnouveaux morceaux, des arrangements muraille de Chine, signer dévoilés pas à pas sur ensoleillés. Discipline la BO de documentaires une série de maxis parallèle à La Science sur la station Mir et le en 2012, ils décident de des rêves de Michel Gondry, littoral britannique, vendre mettre leur grandiloquence leur science de la joie du gel pour les cheveux en sourdine pour aller illumine ce printemps. NoémieLecoq ou des caramels à leur droit au but, sans pour effigie: les allumés de autant perdre tout ce British Sea Power ont le CV qui fait leur charme –un www.britishseapower.co.uk le plus farfelu de la pop songwriting luxuriant, en écoute sur lesinrocks.com avec anglaise actuelle. Sur ces des voix ferventes, 21.08.2013 les inrockuptibles 73

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Travis

Hedi Slimane

Where You Stand Red Telephone Box/Pias

Edwyn Collins Understated AED/La Baleine Sauvé par la musique après une double hémorragie cérébrale, l’ex-leader d’Orange Juice n’a rien perdu de son ironie charmante. ’étais un enfant très timide, explique Edwyn Collins. Le rock m’a un peu fait sortir de ma coquille, grâce à des disques de David Bowie, de Lou Reed. Etmême Journey to the Centre of the Earth de Rick Wakeman, je dois l’avouer, même si c’était pourri.” Eclat de rire, regard pétillant de malice. On est ravi derevoir l’Ecossais miraculeusem*nt de retour parmi lesvivants. Foudroyé par deux attaques cérébrales en 2005 qui ont failli lui être fatales, il sort du coma très amoché. “Lemonde s’est refermé comme une huître. C’était difficile de comprendre sa signification, de communiquer.” Avec une énergie, une modestie et une élégance rares, il réapprend petit à petit tout ce qui s’est envolé de sa mémoire, comment parler, marcher, lire, écrire, rire et chanter. Understated, son huitième album solo après une carrière éblouissante au sein d’Orange Juice, se love dans la Northern soul solaire et le rock fougueux sur des paroles aussi ironiques que bouleversantes, chantées avec untimbre de crooner intact. Noémie Lecoq

Retour peu inspiré d’anciens bienfaiteurs de l’humanité. Sortir un nouvel album de Travis en 2013, en plein mois d’août, drôle d’idée ? LesEcossais reviennent pourtant avec Where You Stand, le septième volet d’une discographie mise en veille il y a cinq ans. A chaque nouveau chapitre de la troupe deFran Healy, on espère retrouver les hauteurs de leur inoubliable The Man Who, façonné par Nigel Godrich il y a quatorze ans. Hélas, on en est toujours loin. SiTravis continue de charmer avec ses ballades délicates (Reminder, Another Guy), il gâche la fête avec un paquet de petit* hymnes peu inspirés, voire lourdauds, taillés pour satisfaire les quotas pop-rock des radios (Moving, Where You Stand). JohannaSeban www.travisonline.com

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www.edwyncollins.com

The Spinto Band Cool Cocoon 62TVRecords/Pias

Toujours savante, la pop des prolifiques Spinto Band continue d’enchanter. On aurait tort de ne voir dans les sympathiques Spinto Band que de joyeux lurons résolus à faire le poirier, des billes plein les poches. Si le groupe, qui sort un deuxième album en France en quelques

mois, continue d’agencer une radieuse BO du bonheur, les Américains n’en négligent pas pour autant l’écriture et font leschoses avec sérieux. Sur Cool Cocoon, ils ne sont pas simplement cool, mais affichent un vrai talent de songwriters, capables d’aligner debelles acrobaties pop (What I Love et son piano stonien, la popsong àbascule Shake It off, laballade patraque Static).

De quoi réconforter ceuxqu’aurait déconcerté la récente mutation deVampire Weekend. J.S. www.spintonic.net en écoute sur lesinrocks.com avec

Nadine Shah Love Your Dum and Mad Apollo/Modulor Un fantasme enfin assouvi: PJHarvey et Nick Cave ont une fille. es doigts pianotent un clavier cabossé pendant que l’orage gronde. Sa voix vénéneuse parle, avec douleur, de diable, de désir et de revanche. Le titre fait une contrepèterie grinçante en glissant les mots anglais pourmuet et fou dans l’expression love your mum and dad (“aime ta maman et ton papa”). Pour l’état civil anglais, Nadine Shah est née d’un père pakistanais et d’une mère d’origine norvégienne, maisdans ses veines coule le sang d’encre de Nick Cave et de PJHarvey. Dès les premières secondes du menaçant Aching Bones jusqu’au dernier souffle de l’apaisé Winter Reigns, ce premier album à la fois sensuel et glacial est l’œuvre intense etfougueuse d’une jeune sauvageonne londonienne déjà sidérante de liberté. N.L.

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concert le 30 octobre à Paris (Flèche d’or) nadineshah.co.uk en écoute sur lesinrocks.com avec

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David Murray Be My Monster Love

Sophie Ebrard

Motéma/Harmonia Mundi

Gabrielle Aplin English Rain Parlophone/EMI Une crème anglaise apporte un peu de douceur et d’ingénuité dans un monde de brutes. ur la pochette, au milieu unevoix cristalline, qui vient picoter d’une plage battue l’âme de l’intérieur. C’est ce goût parlecrachin anglais, pour les choses simples et Gabrielle Aplin sautille virginales qui fait sa force (comme pieds nus enrobe d’été jaune sa reprise de ThePower of Love, pastel, unparapluie arc-en-ciel letube grandiloquent de Frankie àla main. Et ça s’entend du début Goes To Hollywood) mais aussi àla fin de ce premier album safaiblesse –un peu de boue paradoxalement intitulé English et de poison pourraient la changer Rain. Plus gorgées d’éclaircies que en chipie passionnante. N.L. de grisaille, cesmélodies sautent àpieds joints dans les flaques. www.gabrielleaplin.co.uk Teintées de folk acoustique en écoute sur lesinrocks.com avec etdepiano fragile, ellesdorlotent

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Le sax ténor poursuit son duo avec l’ex-star Macy Gray et ajoute la voix de Gregory Porter. En janvier, le label de jazz indé Motéma fêtait à New York ses dix ans d’existence et de bon goût. Lors d’un concert-anniversaire sur la 5e avenue, Macy Gray a débarqué en mode Whitney Houston pour poser sa voix râpeuse sur quelques compositions duténoriste David Murray. Une prestation originale, pourtant moins marquante que Be My Monster Love, nouvel album gravant leur collaboration empreinte de blues. Murray, qui rappelle les complaintes suraiguës d’Albert Ayler et déconstruit lephrasé bop avec une liberté sauvage, s’offre aussi les services du chanteur Gregory Porter, dont on n’a pas fini d’apprécier le talent. Entre titres soul et up-tempo instrumentaux boostés par un des quartettes les plus classe de Manhattan, le Californien lâche un enregistrement élégant, pas le moindre d’une pléthorique discographie. LouisMichaud concerts les 30et31 octobre à Paris (Duc des Lombards) www.davidmurraymusic.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Laura Veirs Warp and Weft Bella Union/Cooperative/Pias Entourée et très inspirée, la discrète Américaine séduit plus que jamais. epuis des années, Laura Veirs sort des albums dans la confidentialité: tristement, les radios et le public la boudent. Lamusicienne de Portland publie cet été son neuvième album, qu’elle a nommé Warp and Weft et qui pourrait être le meilleur de sa carrière. Elle l’a enregistré enceinte de huit mois, et c’est de la bombe bébé. Warp and Weft évoque l’amour, les peurs, la maternité, l’Amérique et l’art (Veirs se plonge dans la vie du peintre Howard Finster –dont les œuvres s’affichent sur les pochettes d’albums de R.E.M. et des Talking Heads– pour signer l’élégant Finster Saw the Angels). Veirs a fait appel à son producteur de longue date Tucker Martine et convié des amis: Jim James, KD Lang, Neko Case ou des membres de The Decemberists partagent les chœurs. Avec eux, elle a agencé un disque aux arrangements riches et au charme fou, qui contient un des plus impeccables titres de power-pop entendus récemment (That Alice, inspirée à la musicienne par la vie d’Alice Coltrane).

D No Age An Object Sub Pop/Pias Huit ans après ses débuts, le duo d’agités demande encore à se faire découvrir. e Weirdo Rippers à Nouns, Atmosphere. En dehors de ce titre jusqu’aux triturations trouble et envoûtant, contresoniques d’Everything exemple majeur dans l’œuvre inBetween il y a troisans, discographique de NoAge, le reste NoAge avait jusqu’ici toujours de l’album est plus conforme su apporter quelque chose –une aux précédents efforts. Avec une touche de frénésie, un sens de la différence, majeure: l’abandon mélodie pétaradante, une intensité de la batterie sur quelques titres effrayante– au son punk dont (le sombre IWon’t Be Your il s’emparait avec, par ailleurs, Generator et le destroy ACeiling une indéniable efficacité. D’où Dreams of a Floor, notamment) au la grande question qui se posait profit d’une basse à quatre cordes. au duo de LosAngeles: comment Ce qui, chez beaucoup, ne servirait se rénover sans fâcher les fans des qu’à amadouer leur image, à précédents disques ? Face à un tel l’apprivoiser, à la rendre bon dilemme, leur réponse est toute enfant, sublime plus que jamais ici trouvée: ne plus secontenter du un punk-rock fripouille, tranchant, punk comme d’un simple exutoire (sid)vicieux –sur AnObject, à une révolte adolescente, mais les deux jusqu’au-boutistes le prendre comme un objet d’étude refusent toute mécanique sonore (d’où le titre, AnObject). un peu trop huilée, préférant Il y a bien sûr tous les éléments à cela fricoter avec l’urgence que l’on aime tant chez Dean Spunt et fantasmer les riffs bruitistes. et Randy Randall: le concept arty, En témoigne l’ultime Commerce, les refrains noisy, les mélodies Comment, Commence qu’il abrasives, voire barrées. Mais il y a conviendrait de renommer “Culotté, surtout une réelle envie d’éviter Convulsif, Cérébral”. Une façon la grand-messe du rock, le son comme une autre de résumer boursouflé. Le coup de maître: ce quatrième album en tout point Running from a-Go-Go, brûlot survolté. Maxime Delcourt mélancolique qui multiplie les clins www.noagela.blogspot.com.es d’œil à Joy Division, période

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JohannaSeban

Chloe Aftel

concert le 6novembre à Paris (Divan du monde) www.lauraveirs.com

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Jim Wright

The Olms The Olms Deux briscards de la scène folk-rock de

Harvest Records/EMI

L. A. et des tonnes d’instruments vintage. n connaissait déjà le aux références des musiciens premier, l’une des figures –Beach Boys ou Kinks. Mais du nouveau songwriting la prouesse technique de King, folk californien. On est dont les instruments dénichés ravi de découvrir le second, et le dans les marchés aux puces groupe qu’ils forment désormais. de Los Angeles feraient se pâmer Quand Pete Yorn et J. D.King, de jalousie tout musicologue, amis de longue date, se mirent à associée à la dimension tragique composer ensemble, il y a dix ans, des textes de Yorn, fait de The Olms ils n’avaient pas idée de ce qui une excellente surprise. Ainsi du en sortirait. Résultat: The Olms, majestueux A Bottle of Wine Etc., groupe et album, sorti sur le ou riment nostalgie et carpe diem. mythique label Harvest Records On peut remercier Linda Ramone, (Syd Barrett, Pink Floyd…), relancé veuve de feu Johnny et compagne à l’occasion du rachat d’EMI de J. DKing, d’avoir eu la bonne par Universal. Ligne de guitare idée de lui présenter un jour simple lorgnant vers la country, son ami PeteYorn. YannPerreau délicatesse des arrangements, chœurs folks: l’album pourrait www.theolmsmusic.com en écoute sur lesinrocks.com se contenter d’être une jolie chose avec rétro, un chouette hommage

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le single de la semaine Crayon Give You up Partyfine

Disco, house, funky: la traversée d’un jeune Français parrainé par Yuksek. Malgré un nom qui ne paye pas de mine, Crayon est le nouveau poulain de la scène electro parisienne. Après un passage remarqué chez Kitsuné, il revient épaulé par Yuksek, l’un des techniciens du son les plus pointus de sa génération. Boulimique de studio, le Rémois poursuit ici le développement de Partyfine, son label lancé au mois d’avril, avec un troisième ep aérien, sexy

mais pas vulgaire, léger comme une bulle de champagne. Porté par un titre phare, Give You up, le disque évoque les plaisirs estivaux, le beach-volley en petite tenue, les terrasses panoramiques. Emmené par la voix délicate de l’Australienne KLP, d’une fraicheur absolue, le morceau absorbe les deux autres inédits, alors que les remixes de Yuksek, Blende

et Darius balaient les derniers cumulus, bien agrippés à la piste de danse, offrant une double, une triple, voire une quadruple dimension à un ep déjà important. RomainLejeune www.sound cloud.com/ le-crayon en écoute sur lesinrocks.com avec 21.08.2013 les inrockuptibles 77

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dès cette semaine

Aline 22/8 Sète, 20/9 Avignon, 3/10 SaintGermain-enLaye, 4/10 SaintBrieuc, 18/10 Bordeaux, 23/10 SaintEtienne, 26/10 Lyon, 11/12 Paris, Flèche d’Or, 12/12 Arras, 13/12 Dunkerque

22/11 Lille, 9/12 Lyon, 10/12 Toulouse, 11/12 Nantes

Au Revoir Simone 18/9 Paris, Nouveau Casino Babyshambles 3/10 Paris, Zénithw Jake Bugg 21/11 Paris, Olympia,

Coconut Music Festival du 27 au 29/9 à Saintes, avec Brigitte Fontaine, The Black Angels, LeVasco, Zombie Zombie, Petit Fantôme, Pendentif, Ladybird, Caandides, etc.

Riff Cohen 25/7 Grenoble Etienne Daho les 14, 15 et 18/2 Paris, Cité de la Musique, 22/2 Paris, salle Pleyel, 21/3 Rouen, 25/3 Marseille, 28/3 Toulouse, 29/3 Bordeaux, 4 et 5/4 Paris, Zénith, 8/4 Dijon, 9/4 Lille, 16/4 Nantes, 17/4 Rennes, 22/4 Firminy,

24/4 Béziers, 25/4 Cannes, 26/4 Fréjus

Jay Z 17 et 18/10 à Paris, Bercy

Eldorado Music Festival du 16 au 22/9 àParis, Café dela Danse, avec Rodolphe Burger & Olivier Cadiot, Thomas Azier, Gramme, Laura Marling, Gym, etc.

Jazz à La Villette du 3 au 15/9 à Paris avec Bryan Ferry, Seun Kuti And Egypt 80, Magnetic Ensemble, John Zorn Marathon, Chic feat. Nile Rodgers, Vieux Farka Touré, Fatoumata Diawara, Jamie Cullum, Arthur H, Kenny Garret, etc.

Elektricity du 20 au 28/9 à Reims, avec Juveniles, Yuksek, ChillyGonzales, Is Tropical, Tristesse Contemporaine, Connan Mockasin, Rone, Simian Mobile Disco, Breakbot, Panteros 666, Monsieur Monsieur, etc.

aftershow

Midi Festival du 26 au 28 juillet à Hyères Parce qu’il ne suffit pas de proposer un cadre idyllique –sous les pins parasols de l’hippodrome de Hyères, sur la plage et à la Villa Noailles–, le Midi Festival avait encore une fois déployé ses talents de précurseur en invitant, à sa 9e édition, la fine fleur de la nouvelle garde anglaise et quelques-uns de ses aînés. Si l’on pardonne à Mount Kimbie un concert un peu raté malgré un chouette featuring de King Krule sur You Took Your Time, on regrette le show statique du duo bouillant AlunaGeorge dont la meneuse de jeu avait semble-t-il rangé ses déhanchement sulfureux au placard. Bon point en revanche pour le rappeur queer barjo Mykki Blanco et son freak show sombre et tranchant. Côté nouvelles têtes, on a préféré le jeune Only Real, son flow à la JamieT. et son rock qui n’en n’est pas, à la blue wave en jogging de son collègue King Krule, plutôt ennuyeuse. Tandis que TheHorrors livraient un set puissant, hypnotisant, tout en finesse, on passait volontairement sur la démonstration de force de Peter Hook &The Light. Enfin, si la pop idéaliste de Swim Deep et le psychédélisme de Temples se sont tous deux invités sur le podium, les ex-WU LYF ont décroché l’or avec leur nouveau groupe, Los Porcos. Menée par l’ancien bassiste Francis Lung, l’ancien batteur et l’ancien guitariste du collectif, complétée par quatre musiciens, la formation a livré un set psychédélique, déluré et funky en diable. Ondine Benetier en concert au Festival Les inRocKs en novembre, Swim Deep le 7à Paris (Boule Noire), AlunaGeorge le 10 à Paris (Cigale), Temples le 8 à Nantes, le 9 à Bordeaux et le 11 à Paris (Cigale)

Mykki Blanco

Régis Laugier

Eminem 22/8 Saint-Denis, Stade de France Festival Les inRocKs du 7 au 12/11 à Paris, Nantes, Toulouse, Bordeaux, Nancy, Tourcoing et Caen avec Foals, AlunaGeorge, Suede, Astra, Petite Noir, Suuns, Valerie June, These News Puritans, Laura Mvula, Matthew E. White, Jacco Gardner, London Grammar, Christine And The Queens, Temples, Deptford Goth, Arthur Beatrice, Troumaca, Casual Sex, Drenge, etc. Foals 26/10 Nîmes, 1/11 ClermontFerrand, 2/11 Bordeaux, 3/11 Toulouse, 5/11 Nantes, 7/11 Strasbourg, 12/11 Paris, Zénith Goldfrapp 25/10 Paris, Trianon Half Moon Run 15/11 Paris, Trianon Jay-Jay Johanson 10/12 Feyzin, 11/12 Paris, Trianon

Local Natives 20/11 Paris, Bataclan Marsatac du 19 au 29/9 à Marseille, avec Moderat, Vitalic, LaurentGarnier, Cassius, Tricky, Fauve≠, CarlCraig, Bonobo, ZombieZombie, Aufgang, Gramme, Discodeine, f*ck Buttons, etc. MGMT 8/10 Paris, Olympia Name Festival les 14, 20 et 21/9 dans le Nord avec Boys Noize, Magnetic Man, Jamie Jones, Fritz Kalkbrenner, Maya Jane Coles, Art Department, Hudson Mohawke, Crookers, Erol Alkan, Rocky, Strip Steve, etc. Nasser 28 & 29/9 Marseille, 11/10 Saint-Brieuc, 16/11 Le Mans, 30/11 Saint-Denis The National 18/11 Paris, Zénith Nick Cave & The Bad Seeds 19/11 Paris, Zénith Orval Carlos Sibelius 10/12 Feyzin,

nouvelles locations

en location

Le Cabaret Vert Pour sa 9e édition, le festival écolo des Ardennes accueille ce weekend Asaf Avidan, le Wu-Tang, Major Lazer, Valerie June, Two Door Cinema Club, Alt-J, Hanni El Khatib, Eels, ou encore Crystal Castles. du 22 au 25 août à CharlevilleMézières 13/12 Paris, Divan du Monde, 14/12 Tourcoing Petit Fantôme 28/9 Saintes, 5/10 Nîmes, 8/10 Tours, 12/10 Poitiers, 7/11 Rennes, 9/11 Biarritz Phoenix 12/11 Marseille, 14/11 Lyon, 15/11 Nantes, 16/11 Toulouse, 23/11 Lille Piers Faccini 12/10 Coutances, 17/10 Paris, Trois Baudets, 18/10 Limoges, 19/10 Agen, 20/10 Toulouse Pitchfork Music Festival du 31/10 au 2/11 à Paris, Grande Halle de la Villette avec The Knife, Hot Chip, Deerhunter, Disclosure, Panda Bear, Yo La Tengo, Jagwar Ma, Blood Orange, Glass Candy, Warpaint, Mount Kimbie, Mac Demarco, Baths, Iceage, Only Real, Colin Stetson, etc. Pixies les 29 et 30/9 Paris, Olympia Primal Scream 14/11 Paris, Cigale Reeperbahn Festival du 25 au 28/9 à Hambourg avec Juveniles,

Jacco Gardner, Kate Nash, Lescop, Lilly Wood & The Prick, Motorama, Willis Earl Beal, Tunng, Owlle, China Rats, Cayucas, CSS, etc. Rock en Seine du 23 au 25/8 àSaint-Cloud, avecPhoenix, FranzFerdinand, Alt-J, La Femme, Kendrick Lamar, Tame Impala, Vitalic, Tricky, Savages, Eels, Fauve≠, ValerieJune, Laura Mvula, The Pastels, Mac Miller, Is Tropical, , Chvrches, etc. Sébastien Tellier 12/10 Paris, La Cigale Vampire Weekend 21/11 Paris, Zénith Willis Earl Beal 7/10 Paris, Point Ephémère Winter Camp Festival du 10 au 14/12 à Paris, Lyon, Bordeaux et Lille avec JayJay Johanson, Jason Lytle & The Young Rapture Choir, Orval Carlos Sibelius, Archie Bronson Outfit, etc. Yo La Tengo 3/11 Nantes

retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

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les ensorcelées Une mère et sa fille adoptive se livrent à un duel psychologique le jour de Noël. Laura Kasischke confirme son statut d’écrivain prodige avec un thriller intime sur les démons de l’inconscient.

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es rumeurs la donnent comme laromancière américaine la plus douée de sa génération. Acette évocation, sourire embarrassé deLaura Kasischke: “A11ans, jerecouvrais mon journal intime d’histoires à propos de monchat. Aujourd’hui, je me sens encore comme cette gamine.” Ace détail près que son œuvre n’est pas peuplée de chats, loin s’en faut: labeauté de chaque livre entretient des liens avec l’invisible, lesmondes occultes, les brumes duveteuses et phosphorescentes de l’inconscient. “Chez moi, l’intrigue et les personnages sont secondaires. Ce qui compte, c’est une certaine qualité d’impression, une atmosphère.” Mettant en doute le principe d’une vérité,

d’une philosophie et autre statement transmis par la fiction, l’auteur du Michigan dit forger ses romans à partir d’obsessions. Esprit d’hiver est ainsi le fruit, beau et vénéneux, de plusieurs images: le blizzard, la sensation de claustrophobie, “une certaine idée de confusion et de terreur”. Soit une mère et sa fille adolescente coincées chez elles le jour de Noël. Une trame minimaliste, presque douce, point de départ d’un thriller mental asphyxiant, peut-être le roman leplus inquiétant écrit ces dernières années. Esprit d’hiver s’est rédigé vite: un mois et demi. “J’étais prisonnière d’un roman qui n’allait nulle part, une histoire complexe autour de mondes parallèles. J’ai eu soudain le désir de renouer avec un dispositif simple.” L’action se déroule sur une journée,

Kasischke en 3 livres A Suspicious River (1997) A36ans, Laura Kasischke, jusque-là poétesse, livre un premier roman incandescent autour d’une jeune réceptionniste qui se prostitue dans une bourgade américaine. Elle est immédiatement comparée à Joyce Carol Oates, pour sacritique vénéneuse

de lasociété, le détournement de ses mythes et inconscient. Devenu introuvable, il est réédité ce mois-ci en Livre de poche. Rêves de garçons (2007) Proche d’Esprit d’hiver par son économie narrative, le quatrième opus de Kasischke raconte la virée en voiture de trois pom-pom girls et les

suites tragiques de leur rencontre avec deux ados. Uncauchemar tapi dans un rêve de velours. LesRevenants (2011) Sans doute le roman leplus ambitieux de l’auteur: spectres adolescents et manipulations psychologiques sur fond decampus novel funèbre etgothique. Sublime.

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Ginger & Rosa de Sally Potter (2012)

“l’adolescence est un âge propice au drame, il possède un grand potentiel tragique et métaphorique” Laura Kasischke

quelques heures délivrées en temps réel dans un décor unique. Ce qui d’emblée installe le lecteur dans un sentiment d’inconnu, avec l’impression de progresser seul, sur un chemin non balisé par la prescience d’une voix omnisciente ou le répit d’une ellipse. On se réveille avec Holly, mère de famille et écrivaine frustrée, tenaillée par une inquiétude. Une phrase, récurrente tout au long de cette journée, comme un mantra, une menace, uneprophétie: “Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.” C’est que Tatiana, sa fille de 15ans, a été adoptée. Leur “coup de foudre” remonte àtreize ans, dans un orphelinat en Sibérie. Le scénario de cette adoption, de cet amour instantané et fusionnel, varessurgir parbribes, en contrepoint del’attitude de plus en plus mystérieuse de l’adolescente: plaintes, agressivité et goût de la provocation, entrecoupés de moments aphasiques, d’infimes métamorphoses physiques puis de disparitions. On sait la fascination de l’auteur pour l’adolescence, au cœur de presque tous ses romans: “Il s’agit d’unâge propice au drame, qui possède ungrand potentiel tragique et métaphorique.” Mais Tatiana est un prototype: déesse gâtée et enfant souffreteuse, poupée sans âme, présence martienne et mauvais esprit qui étend son ombre maléfique sur la maison. D’autres signes accentuent ce malaise croissant, brouillard épais où la chronologie de cette journée se dérègle: la sensation d’isolement accentuée par latempête, la défection des invités, lepère bloqué à l’hôpital avec ses parents, la réminiscence d’une maladie (ses “mutations génétiques mortelles”), des appels inconnus, une brûlure, dusang… et toute une série

de signes avant-coureurs tournant en boucle dans l’esprit d’Holly. Avec un sens du suspense affûté, lesouci constant de semer des indices tout en déjouant les attentes, Kasischke tourne autour d’un mal dont l’origine reste fondue dans une énigme: “Le ressort de l’angoisse tient au fait qu’on ne peut en déterminer la nature: les phénomènes décrits dans lelivre sont-ils d’origine psychologique ou supernaturelle ? C’est cette dualité qui rend les choses effrayantes et intéressantes. Les vrais fantômes ne font pas peur !” La piste de la maladie mentale devient cependant crédible, entraînant le lecteur sur la pente alarmante d’un réel confus, éclaté, toujours plus funèbre –accréditant la thèse d’une déviance familiale et sociologique: “Ces dernières décennies, lamultiplication d’adoptions d’orphelins russes par des Américains a fait débat quand on s’est aperçu que ces enfants se révélaient bien souvent atteints de lésions cérébrales, schizophrènes ou psychotiques. Ily a deuxans, une mère adoptive a même renvoyé par avion un enfant perturbé dans son pays d’origine ! Cela a provoqué un vrai scandale.” Comme ces parents américains, le couple d’Esprit d’hiver a voulu unbébé“blanc” pour l’assimiler à sa culture, endépit de ses origines et son héritage, ignorant un déterminisme génétique camouflé dans un terrifiant non-dit. Le halo de mystère dans lequel laromancière sculpte cet aveuglement relève du pur génie littéraire: trame amarrée à l’inconscient, peuplée de mythes déchus et de spectres enfantins, qui a le chic pour transformer en cauchemar le décor du quotidien. Kasischke cultive depuis toujours les forces obscures de la fiction: un goût qu’elle rattache à sa découverte, jeune, du cinéma d’auteur européen, Fellini, Bergman et Antonioni… “J’ai compris qu’il y avait une autre manière que celle de Bambi etde Star Wars pour raconter les histoires.” Elle en a fait le socle d’une œuvre envoûtante, aux mille sortilèges, baignée d’inquiétante étrangeté qui ne cesse, delivre en livre, de se renouveler. EmilyBarnett Esprit d’hiver de Laura Kasischke (Christian Bourgois), traduit de l’anglais (Etats-Unis) parAurélie Tronchet, 294p., 20€ 21.08.2013 les inrockuptibles 81

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John Jeremiah Sullivan Pulphead Calmann-Lévy, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru et Estelle Jacquet-Dégez, 510pages, 22,50€

la maison aux esprits

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es livres ne se donnent pas facilement. Vouloir résumer un roman d’Hélène Frappat peut même se révéler un véritable casse-tête, voire une épineuse mission. C’est que l’auteur de 44ans, traductrice et critique de cinéma (notamment aux Inrocks), fait partie de ceux qui privilégient un ordre de visions à une solide charpente narrative, un cortège d’êtres fantomatiques et de rêves tenaces, toujours en équilibre sur la crête de l’invisible et d’un réel lancinant. Il en était ainsi de Sous réserve, premier opus paru en 2004, sorte de puzzle à la croisée du cinéma et de la philosophie. Trois romans plus tard, tous consacrés à de singuliers montages romanesques, parfois à la limite du maniérisme (L’Agent de liaison, Par effraction), plus un nouvel éditeur (d’Allia à Actes Sud), Frappat semble avoir atteint son point de maturité créatrice. Comme si la singularité d’un dispositif, une constellation de références (le cinéma muet, Kant, la littérature gothique…), avait trouvé sa pleine mesure, une ampleur et un souffle combinés aux délices de la plus fine érudition.

un infra-monde truffé d’ombres et de spectres, de dialogues obsédants avec les morts

©Audoin DESFORGES

Une héroïne est rattrapée par une malédiction émanant de ses ancêtres. Hélène Frappat façonne un dédale envoûtant sur les traces de Stephen King et Daphne du Maurier. Soit une héroïne rousse, belle mais rongée par une malédiction qui pèse sur sa famille depuis la folie de quelque ancêtre vers laquelle il faudra remonter. Tourmentée par le rêve d’une maison hantée et maléfique, Laura doit par ailleurs dealer avec son travail dans une agence immobilière parisienne pour une clientèle ultrariche (le Triangle d’or), un supérieur marié avec qui elle a une liaison, outre la menace d’un mal héréditaire (le syndrome d’Huntington) qui, après avoir tué son père, les terrorise, elle et sa sœur londonienne. A partir d’un canevas qui tourne au jeu de piste pervers et déroutant, Frappat déploie un infra-monde truffé d’ombres et de spectres, de prémonitions et de cauchemars, un lieu de télépathie et de dialogues obsédants, mués en duel, avec les morts. Cette toile fantastique, l’auteur la tisse par fragments, images successives d’un vertige de soi qui trace une histoire, et peut-être une filiation. On pense à Rebecca de Daphne du Maurier et à d’autres écrivains encore: Emily Brontë et Barbey d’Aurevilly, pour cette charge de violence surnaturelle, mariée àl’appel de la lande sauvage, ou encore Stephen King pour l’obsession du don, du pouvoir télépathique, et pour aimer faire apparaître et disparaître les petit* garçons trop doués. Frappat, elle, l’est pour de bon, avec ce roman d’héritage impossible comme les volutes d’un rêve embrumé. Emily Barnett photo Audoin

Epatants portraits d’Américains vivant enmarge de la culture mainstream. On commencera par remercier Greil Marcus: en choisissant de faire figurer un texte de John Jeremiah Sullivan dans une anthologie annuelle des meilleurs écrits sur la musique (Best Music Writing, publié aux Etats-Unis par les éditions DaCapo), l’auteur de Mystery Train nous avait permis de savourer dès2009 une palpitante enquête sur quelques héros oubliés du blues. Intitulé “Des bardes inconnus”, cet article passionné et fouillé figure aujourd’hui dans Pulphead, recueil de chroniques aux multiples facettes. Capable d’explorer les complaintes du Sud rural avec la passion d’un Peter Guralnick tout en affichant un faible pour les excès white trash d’Axl Rose, Sullivan est un maître du reportage en immersion, ce qui lui permet de s’infiltrer au sein des sous-cultures les plus diverses et d’en ramener de très pittoresques portraits d’amateurs de rock chrétien, de sympathisants du Tea Party, de fans de téléréalité ou de pilleurs de sites archéologiques. En épinglant les moindres tics de langage tout en témoignant d’une ouverture d’esprit et d’un sang froid hors du commun, il nous fait ainsi découvrir les visages excentriques de l’Amérique avec un humour décapant. Bruno Juffin

Desforges pour Les Inrockuptibles Lady Hunt (Actes Sud), 320pages, 20€

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Xavier Boissel Autopsie des ombres Inculte, 164pages, 15,90€

corps étranger A l’ère du spectacle et de la célébrité la plus cheap, Alizé Meurisse s’infiltre dans la peau d’un acteur. Un roman drôle et méchant autour de l’identité. lizé Meurisse a débarqué en system cheap qui cite indifféremment Andy littérature il y asix ans auréolée Warhol et Morrissey, John Waters et Jean d’un halo de cool: proche de Peter Cocteau. Mais même la vedette a des états Doherty à l’époque où il ne posait d’âme, et trouve par hasard la parfaite pas pour TheKooples, la jeune Française échappatoire à sa vaine spirale lorsqu’il était installée à Londres où elle s’adonnait pousse la porte d’un cabinet spécialisé à la photographie et à la peinture. Mais dans l’ADN injectable, qui vend à prix d’or les premières lignes de Pâle sang bleu, une nouvelle identité à portée de seringue. son premier roman, levèrent tout soupçon Vertige et curiosité, l’acteur se retrouve de dilettantisme branché: Alizé Meurisse dans le corps de monsieur Tout-le-monde, est l’enfant naturel d’Edie Sedgwick et petit, gras du bide, calvitie rampante. de Françoise Sagan, la liberté et la classe L’enfer ? Peut-être pas, en fait. “C’est je-m’en-foutiste appliquées au roman, grisant de refuser d’être soi”, découvre-t-il. saupoudrées d’une étonnante habilité à se Mais Alizé Meurisse est sans illusions, jouer de la langue. Ciselé, le verbe file, et il et sa fable, sans morale. Neverdays est un convient de se laisser bercer par la douce conte dénué de jugement, un récit ponctué litanie d’un rythme singulier. Délaissant de miscellanées étranges (“Les éléphants les amours adolescentes et brutales qui sont les seuls mammifères à posséder hantaient Roman à clefs, son livre précédent, quatre genoux”, “Le parachute a été inventé elle se penche aujourd’hui sur la culture plus de centans avant l’avion”, “Dans sa vie, de la célébrité qui corrode notre quotidien. une femme avalera en moyenne 3kilos Le livre s’ouvre sur le monologue de rouge à lèvres”). En perte d’identité, intérieur d’une star de cinéma, parfait le héros se lamente et cherche la porte “douchebag”, hom*o erectus sous-évolué, de sortie de sa vie. “Je voudrais juste surévalué, qui se repaît de calembours à être moi-même”, crie-t-il dans sa tête. deux sous, genre “Des caisses, j’en ai plus Un vœu pieux ? Clémentine Goldszal photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles d’une, et des femmes j’en ai des caisses”. Sexe, drogue et blockbusters, on reconnaît Neverdays (Allia), 192pages, 9,20€ qui on veut dans ce portrait d’un star-

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Un premier roman saturnien qui dissèque laguerre au scalpel. “Ce n’était pas une guerre comme les autres.” La phrase, froide, minimale, scande le bref et beau premier roman de Xavier Boissel, auteur que l’on avait découvert avec son essai Paris est un leurre. Que dire, en effet, d’une guerre où les soldats ont pour ordre de tuer des animaux ? Pendant le conflit en ex-Yougoslavie, des Casques bleus durent éliminer tous les chats et les chiens d’une ville dévastée pour éviter la propagation d’épidémies. Boissel s’inspire de cette histoire vraie pour ausculter les entrailles de la guerre contemporaine, “fragmentée, sans rituel”, et immerger le lecteur au cœur des ténèbres d’une conscience en ruines, celle de Pierre Narval, ancien Casque bleu, incapable de reprendre le cours normal de sa vie, captif de sa mémoire et de son sentiment de culpabilité. Ilrumine son impuissance, tente de la dissoudre dans l’alcool et la fuite. Hanté, spectral, le livre alterne entre passé et présent. Mais les souvenirs de guerre et la dérive mélancolique de Pierre Narval sont recouverts d’un même voile noir que le texte tend à déchirer, exil impossible vers la lumière. Tout est blême et cendreux, même les flocons de neige sont noirs de suie. Succession de tableaux en clair-obscur, peinture noire à la Goya, Autopsie des ombres, roman sous l’influence de Conrad, ressemble à une eau-forte. Chaque vision se grave comme une blessure. ElisabethPhilippe

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Salaam Bombay! de Mira Nair (1988)

last exit to Bombay Loin des clichés du misérabilisme junkie, le premier roman symphonique etpoétique de Jeet Thayil célèbre la fange et les fastes de la cité indienne.

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uphorie fugace, érosion des liens sociaux, tentatives de sevrage, spirale d’autodestruction et inéluctable descente aux enfers –de Hubert SelbyJr. à Denis Johnson, la littérature junkie a ses étapes imposées, lesquelles imposent à leur tour une intangible liturgie dramatique. Déjouer lesattentes inhérentes à toute saga de ladrogue relève donc du pari, aujourd’hui brillamment tenu par un premier roman venu d’Inde: en mettant des trésors d’empathie au service de trajectoires individuelles hautement improbables et en tirant parti de toutes les ressources picturales et sonores d’une mégalopole en pleine mutation, le poète et musicien Jeet Thayil parvient avec Narcopolis à arracher une élégie sous stupéfiants au misérabilisme moral et matériel d’ordinaire consubstantiel au genre. Des années hippies jusqu’à l’aube du troisième millénaire, la ville de Bombay abrite durant trente ans des personnages d’autant plus singuliers qu’ils sont tous égarés dans un no man’s land identitaire: qu’il s’agisse d’un ancien militaire chinois fuyant les bains de sang de la révolution culturelle, d’une ravissante prostituée née dans la peau d’un garçon ou d’un Hindou

témoins du passage de l’âge de l’opium à celui de l’héroïne, les habitués d’une fumerie rêvent, devisent, fantasment sur les stars de Bollywood

américanophile fan de Jimi Hendrix, leurs destins ondulent, se mêlent et s’harmonisent comme sous la baguette d’un chef d’orchestre opiomane. Ces vacillements de la trame, des trajectoires et des repères temporels fontde Bombay –cité schizophrène, que son arrogance architecturale jumelle avec Wall Street tandis que le nom qu’elleporte depuis 1995, Mumbai, l’enracine dans la mythologie hindoue– un lieu propice aux hallucinations. Témoins des passages de l’âge de l’opium à celui de l’héroïne, de l’héritage non-violent de Gandhi à l’horreur des émeutes religieuses et de l’extrême pauvreté à l’émergence d’une capitale de la finance mondiale, les habitués d’une fumerie à l’ancienne rêvent, devisent, fantasment sur les stars de Bollywood et glissent lentement vers des destins d’émouvants fantômes, sanctifiés par une prose dont le lyrisme convoque le Kerouac survolté de Sur la route: “Les drogués, les drogués de la faim et les drogués de la rage etles drogués de la pauvreté et les drogués du pouvoir et les purs drogués, qui n’ont pas pour drogue les substances mais l’oubli et la tendresse qu’engendrent les substances.” De la tendresse, Thayil en éprouve pour le moindre de ses personnages, aussi monstrueux que puissent paraître ses actes: lui-même rescapé de deux décennies d’addiction, il décèle jusque sousle meurtre et la déchéance une bouleversante humanité, et fait de vies en ruine des candidates idéales àl’assomption poétique. BrunoJuffin Narcopolis (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Inde) par Bernard Turle, 302pages, 22€, en librairie le 29août 21.08.2013 les inrockuptibles 85

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Jean-François Paga

l’emmerdeur Yann Moix a gâché notre été avec les 1 144 pages de Naissance à lire en trois semaines. Projet ambitieux ou arnaque ? n a bouclé la rentrée Ensuite,allongés sur littéraire, on croit la plage, on se heurte au avoir lu tous ses problème de manipulation livres importants, de l’objet: on le tient face enavoir épuisé toutes àsoi et nos bras fatiguent sesdécouvertes, on pense (en même temps qu’ils pouvoir partir en vacances se musclent, cela dit…) ; tranquille, mi-juillet, si on le pose sur nos côtes, avecune valise pleine celles-ci finissent broyées declassiques à relire, –sur l’estomac eton vomit quand… on reçoit Naissance trente-septminutes après. de Yann Moix, 1 144 pages: Pardon de vous ennuyer autant dire LE livre qui avec des considérations vabousiller nos vacances aussi prosaïques, mais le –sans compter ce que format (énorme) du roman vanous coûter l’excédent de Moix sera la principale debagages vu le poids raison pour laquelle on (lourd) de la chose. en parlera cette rentrée.

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1 144pages, ça vous impose forcément en écrivain ambitieux, ça pose une performance qu’on ne peut pas ignorer, ça vous fait soudain passer pour un auteur important –bref, c’est un artifice, voire uneffet de cosmétique littéraire pur et simple: ilsuffit d’écrire millepages pour être soudain pris ausérieux. C’est donc déjà vaguement irrités qu’on ouvre le monstre. Et là, miracle: on se surprend à éclater de rire lors de certaines scènes vraiment bien troussées, hypergrinçantes dans ce texte aux allures autobiographiques autour de la naissance deYann Moix himself et du début de son enfance, pris en étau entre des parents qui n’en voulaient pas, voire le détestent, le méprisent, le mollestent. Moix, après bien des livres ratés, vulgaires, souvent misogynes (la sottise la mieux répandue chez les écrivains français), trouve peut-être enfin sa voix, et la voie d’une renaissance littéraire: le grotesque, mâtiné d’absurde et d’humour noir. C’est comme s’il avait cessé de lire le Frédéric Beigbeder des années90 pour passer à Régis Jauffret, tant certains dialogues (entre la mère et le père notamment) totalement délirants font penser à l’auteur d’Univers, univers.

Moix dresse un portrait delui s’autoflagellant: ilest une merde, une loque dépressive, ne sait pas aimer les femmes, etc. Onle suit sur 300 à 400pages, ce qui nous étonne nous-même. Mais après ? Après, on en aun peu marre. Pour atteindre lesmillepages, rien que surune naissance, Moixdéveloppe jusqu’à l’étirement un peu vain des gestes, des scènes, commentant ou décrivant tout, ou alors accumulant les répétitions, et finit par nous semer au passage, mais s’en fout, comme enfermé dans un soliloque de plus en plus confus, à tel point qu’on se demande où il veut en venir –il doit être le seul, hélas, à le savoir. Mais tant pis. Si performance il y a, c’est bien celle d’avoir écrit un livre “idiot”, qui va contre tout esprit de sérieux, toute pose littéraire, qui, plus il prolifère et plus ilalimente joyeusem*nt, foutraquement, son propre suicide, ou qui existe en résistant à naître, hénaurme, délirant, ubuesque: un bras d’honneur à la rentrée littéraire, sans même parler de la famille et de toutes formes de conventions. Nelly Kaprièlian Naissance (Grasset), 1 144pages, 2 6€, en librairie le 2septembre

la 4e dimension Amanda Sthers, la débandade

Jay McInerney sans modération

système Reinhardt

Avec un livre intitulé LesErections américaines (Flammarion, le 9octobre), la romancière et exégète de Johnny Hallyday remporte sans conteste la palme du pire titre de la rentrée littéraire, même pas digne de figurer dans l’almanach Vermot.

Amateur de grands crus, le romancier new-yorkais a écrit de nombreuses chroniques œnologiques, notamment pour le Wall Street Journal. Elles sont désormais rassemblées dans un livre, Bacchus etmoi (LaMartinière), en librairie le3octobre. McInerney dévoile les secrets du vin californien, ses bons plans champagne… Cheers.

Eric Reinhardt passe au théâtre avec Elisabeth ou l’équité. Dans le prolongement de son dernier roman LeSystème Victoria, la pièce met en scène une DRH et le monde impitoyable de l’entreprise. Le texte sera publié le 6novembre (Stock) et la pièce, jouée au Théâtre du Rond-Point, ParisVIIIe, àpartir du 9 novembre.

Stieg Larson inédit Absurde ? En février 2014 devrait paraître Brain Power, une nouvelle inédite de l’auteur de Millénium écrite à l’âge de 17ans. Un récit de science-fiction quisera intégré à une anthologie américaine du polar suédois. 86 les inrockuptibles 21.08.2013

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Hajime Isayama L’Attaque des titans tomes 1 et 2 Pika Edition, traduit du japonais par Sylvain Chollet, 192pages, 6,95€

quartier libre A la manière de Fenêtre sur cour d’Hitchco*ck, Pascal Rabaté observe la façade d’un immeuble et la vie de ses habitants.

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a place du lecteur/spectateur, voilà une question qui traverse l’histoire des arts. Pascal Rabaté s’en empare le temps d’un petit exercice ludique en hommage à deux de ses réalisateurs modèles, Jacques Tati et Alfred Hitchco*ck. Dans Fenêtres sur rue, le lecteur se voit ainsi invité à reconstruire les vies d’une poignée de riverains grâce à son sens de l’observation, le long d’une vingtaine de tableaux qui composent un drôle de livre en forme d’accordéon (un leporello, pour les initiés). Chacun de ces tableaux, unpeu à la manière d’un décor de théâtre, présente le même environnement croqué à différentes heures du jour. Soit quatre immeubles, un bistrot, un lavomatique, quelques fenêtres par lesquelles épier l’intimité des messieurs et mesdames Tout-le-Monde. Un homme promène son chien, des ouvriers ravalent une façade, des amours naissent et se défont… Mais, à bien regarder, il se passe peut-être de drôles de choses dans cette rue en apparence anodine. Un meurtre aurait pu y avoir lieu. La force de Rabaté,

c’est d’avoir troqué lacour du film original, lieu de l’intimité, pour la rue, lieu de l’interaction sociale. Conséquence, à aucun moment le lecteur ne se retrouve dans la position sordide et parfois humiliante du voyeur qu’affectionne Hitchco*ck. La fiction proposée par Rabaté serait plutôt celle d’un entomologiste qui recompose le tissu social du voisinage. Or il faut reconnaître qu’observer les déplacements, déduire les relations humaines, exige pas mal de temps, mais procure beaucoup de plaisir. Les tableaux sont baignés d’une lumière soigneusem*nt travaillée, les fragments de vies font apparaître beaucoup de tendresse sinon d’humour. Et le lecteur, un peu comme James Stewart, ne sait jamais vraiment s’il fantasme une histoire. Mais lelivre, aussi beau que ludique, a surtout lemérite de réveiller une envie de plus enplus rare à l’ère du numérique: celui deprendre le temps. StéphaneBeaujean

Une réussite graphique qui joue avec les codes du manga. Des titans anthropophages, quasiment indestructibles, ont pris le contrôle de la Terre. Depuis un siècle, retranchés dans une cité fortifiée, les derniers survivants tiennent toutefois les créatures à distance, au prix de tensions croissantes et d’une ignorance désormais totale du monde extérieur. Mais l’apparition d’un super-colosse, capable de défoncer les remparts pour livrer la ville à ses semblables, bouleverse ce fragile équilibre. Pris dans l’effroi d’une lutte inégale, deux jeunes recrues, Erenet Mikasa, vont révéler des capacités hors du commun… L’Attaque des titans ne doit probablement pas son succès colossal, auJapon, à l’originalité de son intrigue et du discours sous-jacent (“la vie est uncombat, on ne triomphe pas sans lutter”) mais plus probablement à sa façon habile de jouer avec les codes du manga. Tout en multipliant les références flagrantes (Evangelion, Gunnm, Death Note, Tomié…), Hajime Isayama ouvre une voie inédite enbrouillant graphiquement et narrativement la frontière entre shônen (quête initiatique adolescente) etseinen (intrigues subtiles pour jeunes adultes). Lerésultat, malgré quelques défauts, se laisse allègrement dévorer. Jean-Baptiste Dupin

Fenêtres sur rue de Pascal Rabaté (SoleilProductions), 56pages, 18,95€

le lecteur, comme JamesStewart, ne sait jamais vraiment s’il fantasme une histoire 21.08.2013 les inrockuptibles 87

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la ligne belge des Vosges Hommage réussi à la scène belge au Théâtre du peuple de Bussang dont le directeur, Vincent Goethals, entend bien inscrire son action dans toute la région.

réservez Swan Lake chorégraphie Dada Masilo Dada Masilo questionne le genre du classique. Son prince Siegfried est noir ET gay. Celapeut paraître anecdotique enEurope, mais en Afrique duSud, où l’hom*ophobie est un fléau, le propos prend une autre dimension. La vision de cettechorégraphe et danseuse de27ans est aussi celle d’une Africaine qui regarde ce monde étrange, le ballet, où le blanc est la couleur dominante dututu mais également delapeau des interprètes ! du 10 septembre au 6 octobre au Théâtre du Rond-Point, ParisVIIIe, www.theatredurondpoint.fr

Anna théâtre musical pop, adaptation et mise en scène Emmanuel Daumas Avec le charme millésimé 1967 d’une vingtaine de chansons de Serge Gainsbourg, Cécile de France se transforme en meneuse de revue d’un music-hall pop et dionysiaque qu’elle situe sans ambiguïté, “Sous le soleil, exactement”. du 5 septembre au 6 octobre au Théâtre du Rond-Point, ParisVIIIe, www.theatredurondpoint.fr

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epuis le parking en contrebas, c’est après une courte marche, lelong d’une route qui serpente, que l’on découvre la grande bâtisse de bois et le haut volume de la cage de scène quidomine l’édifice, avec sa fameuse inscription enlettres blanches se détachant sur lebardage sombre: Théâtre du peuple. Fièrement revendiquée à Bussang danslesVosges depuis 1895, l’appellation auxallures demanifeste politique désigne l’endroit comme la plus ancienne utopie théâtrale del’Hexagone, perpétuant depuis cent dix-huitans lerêve desonfondateur, l’industriel duvillage àla fois dramaturge et poète qu’était Maurice Pottecher (1867-1960). Rendez-vous incontournable de l’été pour les habitants et les vacanciers envillégiature dans la région, la visite àBussang tient, tous les après-midi,

dupèlerinage laïc et de la sortie en famille, en prenant des airs d’exode bigarré. Lafoule qui se presse vient là avec armes et bagages… chargée de couvertures ouportant des coussins dans les bras pourpallier le confort spartiate des bancs debois, et munie de bouteilles d’eau pour compenser les effets de surchauffe fréquents sous la vaste nef qui, avec plus de 800places assises, ignore depuis toujours les bienfaits de laclimatisation. Dans lepré attenant à la buvette, une surprise nous attend avec la découverte d’une véritable baraque à frites trônant enbonne place, un premier indice qui donne le ton bon enfant de cette saison belge décrétée par l’institution vosgienne. L’équipe du Théâtre du peuple et Vincent Goethals, sondirecteur, ont décidé derendre hommage aux écritures delaBelgique francophone. A travers trois mises en scène signées par le maître

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Eric Legrand

moment magique où apparaît, dans des odeurs de sous-bois, le paysage de la forêt auquel est adossé le théâtre

deslieux, on est invité à découvrir en alternance, à 18 h 30, Clod et son Auguste et LeRoi bohème, deux “seul en scène”, et, le soir à 20 h 30, un music-hall intitulé Et si nos pas nous portent... Trois spectacles écrits par Stanislas Cotton, l’auteur belge associé à cette édition. Des aventures d’un clown confronté à unmonde où le rire est devenu un interdit à ces tribulations où un jeune homme dévisse socialement pour finir clochard après un échec amoureux, c’est dans uneveine poétique et tendrement politique queStanislas Cotton trouve le ton juste d’un bel accord avec le public de Bussang. Jusqu’à ce cabaret du soir où il met en paroles, sur des musiques de Pascal Sangla, les petit* et grands tracas de la vie des habitants dela région, pour les transcender aveccocasserie dans une rêverie sensible. Reste le rituel immuable du grand spectacle de l’après-midi. En partenariat

avec la troupe du Rideau de Bruxelles et dans une mise en scène de Michaël Delaunoy, LaJeune Fille folle de son âme nous entraîne dans l’univers sombre etfantasmatique de Fernand Crommelynck (1886-1970). Ecrite en 1929, la pièce s’inquiète du destin de Carine qui, au sortir du couvent, est offerte en mariage au jeune Frédéric. D’une chasse à courre n’arrivant pas à déloger sa proie à un bal des masques symbolisant l’entrée de Carine dans lemonde des adultes, Crommelynck file lamétaphore prémonitoire d’un monde pris de vertiges qui va bientôt plonger aucœur du cauchemar. Sa belle s’avère siaccrochée à ses idéaux de pureté qu’elle préfère mettre fin à ses jours plutôt qued’yrenoncer. Une étrange affaire quis’achève par l’évasion del’âme de lajeunefille vers des cieux plus cléments. Michaël Delaunoy en profite pour jouer avec nos nerfs et retarder jusqu’à

son dénouement le traditionnel temps fort dechaque mise en scène àBussang… cemoment magique où, avec l’ouverture des grandes portes de la cage de scène, apparaît, dans des bouffées d’odeurs desous-bois, le paysage de la forêt vosgienne auquel est adossé le théâtre. Unpur miracle dont tous les fans deBussang raffolent dans un recueillement quasi mystique. Partie visible du travail de l’institution, lesreprésentations du mois d’août ne sauraient faire oublier la volonté de Vincent Goethals d’être actif ici-même tout aulongde l’année. “J’habite ici et j’ai amené ma famille avec moi, précise le metteur enscène. En décembre, j’ai ouvert le théâtre pour une dizaine de jours avec succès. Mais c’est notre action en direction des lycées etcollèges des trois régions (Franche-Comté, Alsace et Lorraine –ndlr) qui reste notre principale activité hors saison, avec le travail de Sébastien Amblard et Baptiste Roussillon, les deux acteurs qui m’accompagnent en tant que permanents. Autre nouveauté, les deux courtes pièces de 18 h 30 ont été représentées depuis le mois de mai. Nous les avons jouées près de quatre-vingts fois dans le cadre denotre projet de théâtre en appartement. Unemanière de nous faire connaître en nousdéplaçant chez l’habitant. Une occasion d’étendre le réseau de nos soutiens, pour multiplier les relais amis et inscrire encore plus durablement le rayonnement duThéâtre du peuple sur son territoire.” A l’heure où il vient d’apprendre avec joie la confirmation de la visite de la ministre dela Culture, Aurélie Filippetti, pour le22août, Vincent Goethals s’avère tout aussiintarissable sur sa saison belge que sur cette future saison québécoise qu’il peaufine déjà avec l’auteur Carole Fréchette, pour 2014. Après les barquettes de frites, nul doute que ce seront aussi des pancakes gorgés de sirop d’érable qui feront le succès de la prochaine édition de ce haut lieu du théâtre populaire. PatrickSourd Bussang 2013, les Estivales 118e édition dufestival du Théâtre du peuple à Bussang (88), jusqu’au 25 août, www.theatredupeuple.com 21.08.2013 les inrockuptibles 89

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Avec Golgota Picnic, Rodrigo García a mis les nerfs d’une partie du public à rude épreuve

de Raimund Hoghe et Ulli Weiss Un formidable document sur les méthodes de travail de Pina Bausch. La réédition de ce livre, paru en Allemagne en 1980, produit le même plaisir quela nouvelle sortie d’un film dupassé qui imprègne encore nos mémoires. Al’époque, Raimund Hoghe est dramaturge de la chorégraphe Pina Bausch, directrice du ballet de Wuppertal, renommé Tanztheater de Wuppertal, depuis sept ans. Son journal des répétitions de Bandonéon restitue la façon unique dont la chorégraphe créait sesspectacles à partir desimprovisations de danseurs répondant à ses questions: “Pincer quelqu’un à la joue. Décoller un pansem*nt de la peau. Se faire porter. Gratter. Bâiller. (...) Des exemples mêmes de ce qu’on éprouve encore et toujours en répétitions– la possibilité de voir les choses sous un angle totalement différent, les (res)sentir, les vivre autrement.” C’est aussi un livre d’images, ponctué de photographies de l’époque par Ulli Weiss et qui se clôt sur un album de photos d’enfance des interprètes du Tanztheater, avec un commentaire de chacun en guise de légende. La plus belle, signée Hans-Dieter Knebel: “D’ici àdemain, il yaencore longtemps.” Fabienne Arvers Bandonéon –Aquoi bon danser le tango ? (L’Arche), 144pages, 18€ ; présentation du livre parRaimund Hoghe le13septembre à laMénagerie de verre, ParisXIe

David Ruano/desingel.be

Bandonéon –Aquoi bon danser le tango ?

planches à dessein Dans un essai critique, Olivier Neveux repense le rapport que le théâtre politique entend entretenir avec son spectateur.

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ous ne faisons pas de théâtre politique, nous voulons remuer les spectateurs qui ne ressentent plus rien affalés devant la télé.” Cette déclaration de la compagnie catalane LaFura dels Baus montre qu’il n’est pas toujours facile de déterminer clairement ce qui, dans le domaine du spectacle vivant, relève d’une démarche politique. Analyser les rapports qu’entretient aujourd’hui le théâtre avec la politique, c’est d’abord pointer un certain nombre d’ambiguïtés. Dans Politiques duspectateur –Les enjeux du théâtre politique aujourd’hui, Olivier Neveux entreprend un inventaire des diverses tendances qui traversent le champ théâtral contemporain, avec pour objectif de déterminer comment les arts de la scène abordent les questions qui travaillent notre époque. Spécialiste du théâtre militant, il place sa recherche dans une perspective historique. Mais l’intérêt essentiel de son livre, c’est d’analyser la situation présente. Cette étude tombe à pic, dans la mesure où elle offre un panorama assez juste des enjeux àl’œuvre en ce moment dans le monde duspectacle vivant. Olivier Neveux déplore, dans la foulée notamment de Jean Jourdheuil, le fait qu’une logique de diffusion des spectacles prime sur la logique de production. D’où lerègne du consensus à travers des programmations conçues avec le seul souci de satisfaire un public imaginaire. Il cite Jean Jourdheuil, qui regrette le temps où

“il y avait entre le théâtre et son public une relation de type rhétorique: qui parle à qui ? Qui veut persuader qui ? Ou plaire à qui ?”. Dans ce contexte, Olivier Neveux examine différentes formes du spectacle en regard de leur dimension politique. C’est là qu’apparaît l’ambiguïté. L’auteur affiche, par exemple, une certaine méfiance vis-à-vis de Jan Fabre, Romeo Castellucci, Pippo Delbono, voire Rodrigo García –même s’il classe curieusem*nt ce dernier dans la catégorie “agit prop”. Ilpointe au passage certaines “illusions sociales”, comme le théâtre citoyen défendu par Stanislas Nordey au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis à la fin des années90. La place manque pour déployer les détails d’une argumentation richement étayée. Précisons seulement que c’est notamment du côté de Jacques Rancière que l’auteur voit s’esquisser les pistes d’un théâtre de l’émancipation, où les réactions du spectateur ne seraient pas anticipées. Un théâtre qui renvoie le spectateur à lui-même, c’est-à-dire à sa propre liberté. Hugues Le Tanneur Politiques du spectateur –Les enjeux du théâtre politique aujourd’hui (LaDécouverte), 280pages, 22,50€

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nos expos imaginaires (5/5) e, Chaque semain une exposition fictive regroupe des œuvres piochées dans l’actualité artistique de l’été

vernissages Romain Bernini Une trentaine de toiles etautant d’énigmes, c’est letribut qu’a laissé cet été lejeune peintre français Romain Bernini au Château deTaurines, dans l’Aveyron. Cargo Cult jusqu’au 20 octobre au Château de Taurines, à Centrès (12) www.lesabattoirs.org & yaqua.wordpress.com

prix Marcel-Duchamp 2013 En avant-première, les quatre nominés au prix Marcel-Duchamp 2013 (Farah Atassi, Latifa Echakhch, Claire Fontaine, Raphaël Zarka) exposent cet été à la Chapelle du Carmel à Libourne. Enattendant la délibération dumois d’octobre. jusqu’au 15 septembre à la Chapelle du Carmel à Libourne (33), duchamp.libourne.fr

trompe l’œuvre Comment créer un espace unique de collaboration ? Une œuvre qui fusionne le travail de plusieurs artistes en respectant leurs singularités ? La solution: passer au Moonlight Lounge à Berlin, entre art et théâtre.

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eci n’est pas un white cube… Non, non. C’est un immense tableau figuratif qui représente une exposition dans une galerie d’art, à la fois moderne et modeste. On voit un masque de Dionysos, posé sur un socle, et deux paysages, accrochés au mur. Un trompe-l’œil, alors ? Pas vraiment non plus, car les paysages s’avèrent être en trois dimensions et sont accrochés, non pas au mur chimérique, mais à la grande toile même. Celle-ci –une œuvre de l’artiste italien Paolo Chiasera– domine le Moonlight Lounge, un de ces nombreux bars berlinois en voie de décrépitude. La fiche blanche attachée au socle indique que les paysages sont de la jeune peintre allemande Lea von Wintzingerode.

En fait, Chiasera a transformé l’espace d’art en scène, et il invite d’ailleurs d’autres artistes à y ajouter leurs pièces. C’est comme une galerie nomade, sorte de plateau mince qui se laisse rouler, transporter et déployer partout telle une tapisserie. Le titre du projet, II Stile, fait référence à une technique artistique plus ancienne, le deuxième style: un style de fresque à Pompéi, soit le culte dionysiaque dépeint dans les frises de la Villa dei Misteri. Or, selon Chiasera, “l’imagination permet à l’artiste de définir un nouveau lieu de rencontre fructueux”, dit-il, c’estun lieu qui engendre d’autres modes de collaboration”. Pourquoi alors ne pas imaginer d’autres expositions “chez” IIStile, c’est-à-dire sur la toile de fond de Paolo Chiasera ? Avec de semblables collaborations qui réunissent

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Lepkowski Studios GmbH

Vue de l’installation IIStile featuring Lea von Wintzingerode auMoonlight Lounge, 29 juin 2013

Laterna Magica

harmonieusem*nt le travail de deux individus ? On pourrait choisir parmi les nombreuses “équipes artistiques” qui figurent cet été dans l’exposition LePalais encyclopédique conçue par Massimiliano Gioni pour la biennale de Venise: Peter Fischli & David Weiss, Tamar Guimarães & Kasper Akhøj ou bien Aleister Crowley & Frieda Harris. Cependant, lemasque d’André Breton (vers 1930) de René Iché –un masque dit mortuaire mais fait du vivant de Breton– nous convient parfaitement et il ajoute même une pointe surréaliste au masque dionysiaque. Une autre rencontre exceptionnelle: la série Alta Moda (Haute couture) de Mario Testino, constituée de portraits de Péruviens habillés en costumes traditionnels et festifs… Testino l’a réalisée en empruntant une vieille toile de fond à la succession de Martín Chambi (1891–1973), célèbre photographe quechua qui documenta pendant les années20 sa propre culture et fit poser les gens dans son studio à Cuzco. Mais il faut un peu d’action dans tous ces fonds, lovés les uns dans les autres… Laperformance Cult to the Built on What

(2013) met en scène, dans une conception de l’artiste suisse Shahryar Nashat, non seulement son créateur, l’exceptionnel chorégraphe et danseur allemand Adam Linder, mais aussi un pupitre. Malgré sa raideur, cet étrange partenaire de danse se laisse aisément tournoyer, plonger et secouer avant son grand solo final: une pirouette qui coupe le souffle grâce à un moteur et un feu de projecteurs multicolores. Et puisque tout lutrin cherche un livre, pourquoi ne pas y ajouter un des trésors de la fondation du feu bibliophile Martin Bodmer ? L’exposition actuelle LeLecteur à l’œuvre présente des collaborations livresques, dont les annotations soigneusem*nt marquées par Leibniz dans les marges du Philosophiae naturalis principia mathematica (Principes mathématiques de la philosophie naturelle, 1687), le chef-d’œuvre de son collègue concurrent Isaac Newton. Leibniz lut le traité à Rome et y remarqua les erreursavec de bons mots en latin. Et une projection pour terminer ? IIStile étant une toile, elle se laisse facilement transformer en écran, une fois le soleil couché, la lumière éteinte et les

Rijksmuseum Amsterdam

Alta Moda, personnage féminin de la danse Saqra, province de Paucartambo, Cuzco, Pérou, 2010

Mario Testino

comme une galerie nomade, sorte de plateau mince qui se laisse rouler, transporter et déployer partout telle une tapisserie

spectateurs assis… Le Rijksmuseum, enfin réouvert après des années de restauration, se vante d’une superbe collection de plaques pour des lanternes magiques –dont une série collaboratrice, créée à partir des gravures Balli di Sfessania (Danses de Sfessania, 1622) de Jacques Callot. Bien que l’artiste qui transposa les scènes du papier au verre reste anonyme, Callot dut ses dessins aux pièces et personnages de la Commedia dell’arte. En fin de compte, IIStile soulève la possibilité qu’une exposition d’art soit une pièce de théâtre: figée mais toujours peuplée de personnages et d’histoires. Jennifer Allen II Stilede Paolo Chiasera, au Moonlight Lounge, àBerlin Le Palais encyclopédique à la biennale deVenise, jusqu’au 24 novembre Alta Moda de Mario Testino, à la Mate Foundation, au Pérou, jusqu’au 16 septembre Cult to the Build on What Adam Linder, Tanz im August à Berlin, les 31 août et 1erseptembre, et à la Künstlerhaus à Graz, le 12 septembre Le Lecteur à l’œuvre à la fondation Bodmer, Genève, jusqu’au 8 septembre Plaques pour des lanternes magiques au Rijksmuseum, Amsterdam 21.08.2013 les inrockuptibles 93

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un écran au-dessus Le blogueur Eric Scherer, spécialiste de la prospective média, explique pourquoi les médias traditionnels ont tout à craindre des nouveaux usages numériques.

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es spectres phosphorescents et mal embouchés. Aux Etats-Unis, de plus en plus de spectateurs parlent à voix haute dans les salles obscures et, tous écrans allumés, postent des SMS ou des commentaires sur les réseaux sociaux sans l’ombre d’un remords pour leurs voisins. Epiphénomène sans doute, mais un marqueur de plus: lecinéma, comme les autres médias traditionnels, souffre plus que jamais de la contagion du numérique. C’est en substance ce qu’Eric Scherer décrit dans la livraison printemps/été deson Cahier des tendances, très attendue synthèse des révolutions médias publiée sur son blog Meta-media.fr. “Les studios d’Hollywood vont imploser tant ils ne sont pas préparés à la vague qui arrive, notamment latélé connectée”, prédisait en début d’été le directeur de la prospective de France Télévisions. Il a depuis été conforté dans son analyse par… Steven Spielberg et George Lucas, rien de moins. Les deuxréalisateurs

dénoncent les coûts faramineux des blockbusters et les pratiques d’un autre âge des producteurs d’Hollywood, accusés d’être rétifs à l’inventivité supérieure desséries diffusées sur le câble. Aux Etats-Unis, des études ont montré que le cinéma n’était plus la distraction favorite des ados. La fréquentation est enbaisse et certains films sont diffusés enVOD avant même leur sortie en salle. En France, les plus de 50ans représentent depuis2011 la part la plus importante dupublic, devant les moins de 25ans. Unebascule historique. Si l’on ajoute l’effondrement du marché secondaire dufilm (location vidéo, ventes de DVD, etc.), on perçoit les contours d’une crise en germe, ou pour le moins d’une mutation rendue complexe par la dispersion desimages vers les nouveaux écrans (dontceux à venir des télés en superHD, des Google Glass, des vitres numérisées des voitures, des miroirs de salles de bains, etc.). “Le cinéma le plus en phase avec

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“les applications vont remplacer les chaînes, les télécommandes disparaître” Reed Hastings, boss de Netflix

son temps”, comme le pense Didier Allouch, auteur du documentaire Newlywood, surCanal+, serait-il celui de Paranormal Activity, soit “ce cinéma low cost ressemblant à ce que les ados ont l’habitude de voir sur leur portable, sur YouTube ou sur Facebook” ? Si Hollywood est contesté par les geeks de la Silicon Valley, la redistribution descartes (mémoire ?) touche l’ensemble des modes de création et de distribution audiovisuels. Un tournant a été franchi enjuillet avec la nomination aux EmmyAwards de House of Cards produite etdiffusée par Netflix: rien de moins quelareconnaissance du milieu pour une série diffusée exclusivement en streaming. Al’origine société de location de films par correspondance ou en VOD, Netflix compte aujourd’hui 30millions d’abonnés, plus que HBO, et utilise un tiers de la bande passante aux Etats-Unis… Un indice fort qui confirme à Eric Scherer l’existence d’un mouvement irréversible: “Le web devient audiovisuel. Lavidéo va représenter

en France 70 % du trafic internet.” Monstre parmi les monstres, YouTube comptabilise unmilliard de visiteurs uniques et sixmilliards d’heures visionnées par mois. Si ses contenus font de plus en plus appel à des groupes audiovisuels traditionnels, ses propres chaînes captent àleur tour l’attention des autres médias, sil’on en juge les investissem*nts de la BBC, Time Warner ou du studio DreamWorks. Cescroisem*nts d’intérêts illustrent lesbrouillages identitaires industriels à l’œuvre (le pdg d’Amazon vient de racheter le Washington Post). Ainsi, nombre de diffuseurs et d’opérateurs deviennent des producteurs de contenus, comme Amazon, Hulu, Microsoft, Intel, AOL, Yahoo… Mais alors, au sein de cet univers en perpétuelle expansion, qui a pris le pouvoir ? “Le spectateur, répond Eric Scherer, qui veut tout tout de suite et partout, avec sessix à dix écrans par foyer.” Très exigeants, quatre millions de foyers américains ont résilié leur abonnement au câble depuis 2008, rejetant le concept de bouquet et ne voulant payer que pour ce qu’ils visionnent réellement. Menacé par la fragmentation de l’offre et la dispersion des publics, lefutur de la télé “de rendez-vous” divise les avis. Une étude montre qu’en 2013, pour la première fois, les Américains de plus de18ans vont passer plus de temps devant leur ordinateur, smartphone ou tablette que devant leur téléviseur. Reed Hastings, boss de Netflix, est catégorique. “La télé en mode linéaire est mûre pour être remplacée. (…) Les applications vont remplacer les chaînes, les télécommandes disparaître.” Eric Scherer, très écouté à France Télévisions, est plus mesuré. “Dans cette déferlante d’images àvenir, le rôle de la télévision sera justement de réduire le bruit, d’éditorialiser ses contenus, de les trier. La télé comme facilitateur...” Une composante humaine qui sera sans doute mise à mal par le perfectionnement des “médias de précision”, ces algorithmes capables de faire des recommandations personnalisées à chacun, en fonction de son historique de visionnage, de son réseau d’amis, de l’heure de la journée, etc. “Lesécrans vont communiquer entre eux pour s’échanger ce qu’ils savent sur vous.” Robots après tout, les annonceurs sefrottent les mains… Pascal Mouneyres 21.08.2013 les inrockuptibles 95

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“la question de l’être et celle de la technique sont une seule et même question” Stéphane Vial

hom*o numericus Comment définir les effets de la révolution numérique dans nos vies ? Pour le philosophe Stéphane Vial, ce sont nos modes de perception du réel qui en sont bouleversés.

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i la révolution numérique bouscule les modes de consommation des médias (lire pages précédentes), elle se déploie surtout plus largement dans tous les secteurs de nos vies quotidiennes. La puissance de ses effets nourrit aujourd’hui le champ de plus en plus vaste des digital humanities, notamment en France où des chercheurs toujours plus nombreux explorent ces nouveaux territoires (cf. le livre récent d’Eric Sadin, L’Humanité augmentée –L’Administration électronique du monde). Comme l’indique Pierre Lévy dans la préface de L’Etre etl’Ecran –Comment le numérique change laperception de Stéphane Vial, nous avons besoin, au cœur de ce moment de mutation technique inédit, à la fois d’un “œil critique” et d’un “œil visionnaire”, ne serait-ce que pour donner un sens à nos existences numériques et tenter de dépasser le clivage stérile entre technophilie aveugle et technophobie facile. Un clivage qui a traversé une grande part du monde intellectuel des quarante dernières années, de Jacques Ellul, très critique du système technicien, àGilbert Simondon, penseur séminal de la philosophie des techniques… “De quoi la révolution numérique est-elle la révolution ?”, se demande Stéphane Vial, spécialisé dans l’approche philosophique des technologies numériques et du design (déjà auteur en 2010 d’un Court traité dudesign). Pour éclairer en quoi les changements induits par les technologies

numériques méritent d’être considérés comme révolutionnaires, Stéphane Vial creuse une hypothèse stimulante: la révolution numérique est autant un “événement philosophique” qu’un “événement technique”, dans la mesure où “elle nous fait découvrir que la question de l’être et celle de la technique sont une seule et même question”. La révolution numérique fonctionne ainsi comme une “révélation” numérique. Bousculant toutes nos perceptions, nous embarquant dans des immersions inédites, elle “ébranle nos habitudes perceptives de la matière et l’idée même que nous nous faisons de la réalité”. C’est en quoi cette révolution numérique est tout sauf virtuelle mais “ontophanique”, transformant la manière dont les êtres et les choses nous apparaissent en tant que phénomènes. Les interfaces en réseau du système technique numérique –ordinateurs, consoles, smartphones, tablettes…– sont les “nouveaux appareils ontophaniques de notre époque, c’est-à-dire les nouveaux dispositifs phénoménotechniques à partir desquels le monde d’aujourd’hui nous apparaît”. Dans ce système technique contemporain, fondé sur la combinaison de l’ordinateur et du réseau, nous ne sommes présents aux choses et aux êtres “qu’en tant qu’ils nous apparaissent à travers des appareils numériques”. La condition humaine ressemble aujourd’hui à une situation interactive généralisée: l’homme contemporain est un être en interaction,

qui manipule en permanence des interfaces numériques, à la maison, autravail, dans les transports, dans la rue… “Si l’ordinateur est l’étoile centrale du système, internet est la structure en orbites qui fait rayonner cette étoile en tout lieu et en tout point du monde”, écrit Stéphane Vial. Plutôt que de se plaindre des effets de captation de ces interfaces sur l’attention, plutôt que de se joindre aux adeptes de la déconnexion et des journées “sans écran”, l’auteur invite à développer une “nouvelle culture ontophanique” et à “exploiter le meilleur des capacités phénoménotechniques de chaque ontophanie technique”, dont il entrevoit les traces aussi bien dans un iPad qui nous sort de l’asservissem*nt au poste de travail que dans des jouets vidéo des Editions volumiques, qui placent les écrans dans les choses et les choses dans les écrans. La révélation numérique nous apprend, jour après jour, que nous vivons définitivement parmi les objets autant que parmi les sujets et que “nous sommes tous des designers de notre sphère d’existence”. Jean-Marie Durand L’Etre et l’Ecran – Comment le numérique change la perception (PUF), 260pages, 22€, en librairie le 4septembre

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du 21 au 27 août

Sous le sable de François Ozon (2000)

les feux de la Rampling Portrait à facettes de Charlotte Rampling à travers des rencontres avec des artistes qui ont accompagné sa singulière carrière. harlotte Rampling, Cas extrêmement la soixantaine, rare pour une femme, dont la beauté sans le cinéma se nourrissant artifice et l’élégance généralement de chair perdurent aujourd’hui, fraîche et mettant au est tout de même assez rancart les comédiennes perturbée par le postquarantaine. vieillissem*nt. Cette Olympienne et question inévitable et outrecuidante, Charlotte cruciale pour une actrice est une actrice qui dure. revient régulièrement Une figure qui dépasse dans ce portrait à plusieurs le cadre du cinéma. Sans voix, ponctué de rencontres doute parce qu’elle ne s’est avec des artistes. Pourquoi jamais réellement posée, parler de Charlotte qu’elle a vécu une grande Rampling aujourd’hui ? partie de sa vie en France Accessoirement parce tout en étant anglaise, qu’elle a un petit rôle tournant indifféremment dans Jeune & jolie, en Europe et aux Etatsle dernier François Ozon Unis ; et aussi parce qu’elle (lire page62), dont elle a souvent préféré la est devenue une actrice provocation au long fleuve fétiche. Occasion pour la chaîne franco-allemande l’actrice a de diffuser Sous le sable souvent préféré d’Ozon, par lequel Rampling est revenue au la provocation premier plan, et grâce au long fleuve auquel sa carrière a connu tranquille une vraie renaissance.

C

tranquille. D’où des rôles parfois controversés, voire scabreux, dans des films tel LesDamnés de Visconti, et son prolongement déviant, le sulfureux Portier de nuit de Liliana Cavani –sans oublier le buñuélien Max mon amour du Nippon Oshima où elle était la maîtresse d’un chimpanzé. Ces films clés et bien d’autres émaillent sous forme d’extraits les différents chapitres de ce documentaire-portrait à géométrie variable au cours duquel l’actrice rencontre soit des artistes qui ont travaillé avec elle, soit des amis, soit même un de ses fils. Ça commence avec le photographe allemand Peter Lindbergh avec lequel Charlotte évoque bille en tête la question de la mise à nu, au propre et au figuré. A cette occasion, on constate le mélange de

ludisme et de provoc qui la caractérise et fait d’elle une excentrique british typique, qui aime flirter avec les limites. D’autres rencontres plus ou moins thématiques (beauté, âge, mort, désir, tabou, etc.) révèlent certaines facettes moins connues ou oubliées. Par exemple le fait qu’elle chante très bien, et qu’elle était l’interprète de la chanson en allemand de Portier de nuit (qu’on la voit reprendre ici). Ou bien son étrange série de photos érotiques avec un autre photographe allemand, Juergen Teller, où elle est allée plus loin qu’au cinéma sur le plan de la sensualité et de l’exhibition. Peut-être le plus troublant de tous ces épisodes est celui où elle joue à une sorte de jeu de la vérité –sous couvert de répétition d’un projet commun –avec son fils, le réalisateur Barnaby Southcombe (qui l’a dirigée dans le film inédit I,Anna) sur un ring de boxe. Peu de choses concrètes sont dites entre le fils et la mère, toujours badineuse et farceuse, mais on sent friser quelque chose d’intime, voire douloureux, resté enfoui au long de ces rencontres où Rampling ne se départ pas de sa classe internationale. Vincent Ostria The Look – Charlotte Rampling documentaire d’Angelina Maccarone. Dimanche 25, 22 h 15, Arte 21.08.2013 les inrockuptibles 97

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film Orange mécanique de Stanley Kubrick Aussi déglingué qu’il puisse être, il a joué un grand rôle dans mon initiation à l’art. Kubrick a une façon incroyable de montrer de l’humour au milieu des ténèbres. Tous ses films m’ont inspiré à différents niveaux, en photo ou en musique.

Elysium de Neill Blomkamp L’auteur de District9 offre une nouvelle fable SF brutale et réaliste.

Eminem Entre quartier white trash et ghetto noir, le rappeur enragé, toxique et bluffant est en concert le 22août au Stade

L’Esprit de l’ivresse de Loïc Merle Les émeutes de 2005 dans des banlieues réinventées. Retour en force de la littérature de combat.

Kurt Cobain Crying Backstage de Ian Tilton En bon passionné de musique, je m’intéresse à la photographie rock. Celle-ci a été prise après un concert à Seattle. Ian Tilton a capturé un moment très fort, à la fois beau et dingue. La première fois que je l’ai vue, elle m’a hypnotisé pendant des heures.

album Nevermind de Nirvana L’unique responsable qui m’a donné envie de prendre une guitare. Avant, j’écoutais ce que mes parents ou mes cousins me faisaient écouter. J’ai découvert Nirvana tout seul et c’est là que tout a commencé. J’ai appris à jouer toutes les chansons de ce disque. Je l’écoute encore, toutes les semaines. recueilli par Noémie Lecoq

Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières Mads Mikkelsen assoiffé de justice dans un drame historique au souffle romanesque.

Trilogie de Bill Douglas Redécouverte de l’œuvre d’un cinéaste écossais méconnu.

Portugal. The Man Leur nouvel album, Evil Friends, est disponible. Ils seront en concert le 17septembre à Paris (Nouveau Casino).

de France. Joey Bada$$ Summer Knights A18ans, il revigore avec panache la tradition rap de New York sur des Faillir être flingué de Céline Minard Un western grandiose qui traque les origines de la culture marchande.

Les Apaches de Thierry de Peretti Ce teen-movie dresse un portrait sensible de la Corse d’aujourd’hui.

Brian Burton

photo

mixtapes gratuites. Birds Are Alive Monstre né La guitare de Romain Marsault piste le jazz

Complications de Nina Allan Un premier roman autour d’un nain inventeur d’une machine à remonter le temps. et emballe la pop. Daughn Gibson Me Moan Un étrange vernis electro sur les musiques rurales américaines.

La Propriété de Rutu Modan Le retour en Pologne d’une grand-mère exilée en Israël.

New School de Dash Shaw La relation de deux frères, dont l’un est parti vivre dans un parc d’attractions.

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Orange Is the New Black Netflix La créatrice de Weeds revient et envoie son héroïne en prison. Dexter saison8, Showtime L’un des héros lesplus captivants des années2000 tire sarévérence ensanglantée. Breaking Bad saison 5, à partir du 11 août, AMC A quelle sauce Walter White va-t-il être mangé ?

Canada de Richard Ford Après un braquage commis par ses parents, Dell, 15ans, se réfugie au Canada. Un roman d’initiation hyper-efficace qui sonde la métaphore de la frontière.

Le Transperceneige de Jacques Lob, Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand Les survivants d’un cataclysme cohabitent suivant un système de caste.

Adishatz/Adieu conception et interprétation Jonathan Capdevielle Festival d’Aurillac Un tour de chant décavé des fins de nuits qui dérapent aux matins blêmes.

Quand je pense qu’on va vieillir ensemble création des Chiens de Navarre, mise en scène Jean-Christophe Meurisse Festival d’Aurillac Le couple et nos solitudes à travers l’éloge d’un rire cruel.

Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet création des Chiens de Navarre, mise en scène Jean-Christophe Meurisse Festival d’Aurillac Une heure de voyage furieusem*nt déjanté dans des paysages chorégraphiques familiers.

Le Club des sous l’eau Palais de Tokyo, Paris Une expo collective et foutriquet, hommage au cinéaste scientifique Jean Painlevé.

Danh Vo Musée d’Art moderne de la Ville de Paris En plus de dépecer la statue de la Liberté, l’artiste expose les effets personnels de McNamara, grand orchestrateur de la guerre du Vietnam.

Xavier Veilhan et Benoît-Marie Moriceau Cité radieuse, Marseille, et Maison radieuse, Rezé Deux artistes s’attaquent à ces symboles de la modernité érigés par LeCorbusier.

Plants vs. Zombies 2 sur iPhone, iPad et iPod Touch Gratuit, le deuxième épisode de ce jeu mobile détourne le tower defense.

Capsule sur Mac et PC Un jeu créé par un studio indépendant, livré sans mode d’emploi, à l’environnement SF minimaliste. Addictif.

Hotline Miami sur PS3, PS Vita, Mac et PC Quel effet ça fait de se retrouver dans lapeau d’un tueur ? Réponse avec ce jeu pas vraiment tendre.

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